Le Baptême de Judas
pourraient l’empêcher de prendre livraison des documents. Et puis, le légat s’en assurera.
— Montfort nous réserve sans doute un coup fourré, remarqua Ugolin.
— Assurément. Le mécréant est aussi retors que Satan lui-même. Il tentera de conserver le foin tout en nourrissant le cheval.
— Et s’il y arrive, ma sœur en paiera le prix, ajouta sombre-ment Roger Bernard.
— Alors à nous de l’en empêcher, mon ami, répondis-je. Je donnerai ma vie sans hésiter pour sauver la sienne.
— Je sais, soupira Foix. Et moi de même. Espérons que cela suffira.
Nous mangeâmes en silence, notre appétit soudain moindre. Distraitement, j’ouvrais et refermais ma senestre infirme. Elle semblait avoir atteint les limites de sa récupération. Je tentai de former un poing et réussis à moitié, la peau rougie et raide refusant de s’étirer davantage. Comme toujours, Pernelle voyait juste : j’arriverais à tenir quelque chose, mais jamais plus avec la même force.
— Je suis désolé, dit soudain Payraud.
— De quoi ?
— Ta main. Je l’ai salement amochée. Je ne faisais qu’obéir aux ordres de Norbert. Tu comprends ?
— Ne t’en fais pas. Elle était déjà mal en point, dis-je.
Je tuai le temps en lui racontant comment Ignis sacer avait affecté ma main gauche alors que nous nous dirigions vers Gisors.
— Au moins, tout n’est pas entièrement de ma faute, dit Jacques, lorsque j’eus terminé.
Il avala un peu de vin avant de reprendre.
— Par le cul du pape, vous êtes bénis, Ugolin et toi, ajouta-t-il. Rares sont ceux qui peuvent se vanter d’avoir survécu à une telle maladie.
— La marge est parfois mince entre la bénédiction et la damnation, mon ami, répliquai-je avec une certaine amertume. Et lorsqu’on en comprend la différence, il est souvent trop tard.
— En tout cas, même avec une seule main, je confirme que tu peux encore te battre.
— Je dois cela à Bertrand de Montbard et à son entraînement.
— Je ne l’ai pas connu, dit Payraud, mais Norbert en a toujours dit le plus grand bien.
— Avec raison. Il n’était pas seulement redoutable, il avait le sens de l’honneur.
— Gondemar ne sait pas seulement combattre. Il est aussi sauvage qu’une bête, le bougre ! intervint Ugolin avant de se lancer dans le récit enjoué du traitement que j’avais réservé à Raynal.
La conversation alla bon train et nous finîmes par tous rire de bon cœur, chacun racontant ses histoires de guerre avec force détails. Ce fut, je crois, la dernière fois qu’un sourire toucha mon visage.
Nous nous accordâmes trois heures de sommeil avant de reprendre notre route. Notre tension augmentait à mesure que nous approchions de l’endroit fixé pour le rendez-vous.
— Nous sommes à moins d’une lieue, m’informa Payraud en arrêtant sa monture. Est-il prudent de se présenter devant Montfort en plein jour ?
— Mon maître m’a toujours dit qu’il valait mieux savoir où se trouve son ennemi, répondis-je. Je préfère voir à quoi nous avons affaire que d’arriver à l’aveuglette et de tomber dans un piège.
— Tant qu’il n’aura pas les documents en main, Montfort ne tentera rien contre nous, dit Eudes.
— Et quand il les aura ? s’enquit Ugolin.
— Nous ferions mieux d’être loin, compléta Roger Bernard.
Saisissant la perche que me tendait involontairement Foix, je décidai que le moment était venu de révéler l’entourloupette qui avait pris forme dans ma cervelle depuis notre départ.
— Justement, à ce sujet, je propose une modification à notre plan.
— Laquelle ? s’enquit Eudes.
— Pour prouver notre bonne foi, nous remettrons à Montfort les lettres d’Hugues de Payns et de Robert de Sablé. Odon restera à l’écart, comme convenu, mais avec seulement la missive de Pilatius Pontius. Ainsi, nous conserverons l’avantage.
Je désignai un arbre en bordure du chemin.
— Lorsque Cécile sera libre, expliquai-je, Odon déposera le tube contenant le dernier parchemin bien en vue au pied de cet arbre. Nous imposerons un délai à Montfort afin de pouvoir nous éloigner, après quoi il pourra les récupérer à sa guise.
— Seule la lettre de Pilatius a de la valeur aux yeux de l’Église, dit Foix. Tu le sais aussi bien que moi. C’est celle qui prouve que
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