Le Baptême de Judas
notre situation.
— Sans doute. Si Montfort se retrouve vulnérable, il a besoin d’une monnaie d’échange. S’il détenait les deux parts de la Vérité, ce n’est pas Pedro d’Aragon, ni même Philippe Auguste de France qui arriveraient à l’inquiéter. Il pourrait échanger le suaire et les documents contre l’immunité et le droit de s’enrichir à sa guise.
— Il joue gros, on dirait.
— Si j’arrivais à contrecarrer ses plans, ne fût-ce qu’à moitié, il en serait très contrarié.
— Gardons les yeux et les oreilles grands ouverts, alors.
Un ronflement sonore retentit dans la cabane.
— Ugolin, lui, n’en voit pas l’utilité, dis-je en m’esclaffant.
— Faisons comme lui. Nous pouvons discuter tout notre saoul, nous ne règlerons rien ce soir.
Nous nous allongeâmes, Pernelle blottie entre le Minervois et moi, comme jadis, dans la relative sécurité que lui procuraient nos corps. La main de mon amie trouva la mienne et s’y glissa.
Elle était toute petite et si délicate, et pourtant elle savait faire de si grandes choses. Je la serrai doucement et une certaine paix me revint.
— Nous sommes passés près de Rossal, dit-elle dans le noir.
— Je sais.
— J’aurais aimé revoir mon petit Odon, soupira-t-elle.
Je soupesai brièvement la pertinence de lui dévoiler ce que j’avais fait pour éviter que cela ne se produise et décidai que, comme il n’y avait aucun mal à faire le bien, il valait mieux le lui dire.
— Tu as agi pour le mieux, dit-elle lorsque j’eus terminé, une déception difficilement contenue perçant sa voix. Je. je ne sais pas quelle serait ma réaction si on mettait dans la balance la Vérité et la vie d’Odon. Je crois que.
Je laissai sa main et lui posai l’index sur les lèvres.
— Ne le dis pas, murmurai-je. Tu ne sais pas ce que tu ferais. Il ne sert à rien de te torturer. Tu reverras ton fils si Dieu le veut. En attendant, il est vivant, en sécurité et heureux. C’est ce qui compte.
— J’espère seulement que tu ne lui as pas brisé la mâchoire, brute, fit-elle.
Puis elle se blottit contre moi, enfouit son nez dans le creux de mon épaule et je l’enveloppai de mes bras. Je m’endormis, soulagé.
J’étais de retour dans la cathédrale souterraine où le frère Baroche avait déposé le suaire. Je n’avais aucun souvenir d’y être entré. Je my trouvais, tout simplement. Comme je connaissais déjà l’endroit, j’avais échappé à tous les pièges qui s’y trouvaient. Pernelle, Ugolin et Guillot n’étaient pas avec moi. J’avais le sentiment confus que les circonstances exigeaient que je sois seul dans ce sanctuaire. Métatron allait-il surgir à nouveau pour me tancer et me tourmenter ? À cette seule pensée, je sentis mes entrailles se liquéfier de terreur. Malgré cela, je souhaitais cette rencontre. J’étais pris dans un cul-de-sac et, que cela me plaise ou non, j’avais besoin de l’aide de l’archange. Peut-être aussi aurais-je le bonheur de revoir mon maître, qui revenait parfois dans mes songes ? Je pourrais profiter de ses conseils, de sa sagesse, de sa présence rassurante. Je me sentais si seul. Mais c’était impossible. Je l’avais vu entrer dans la Lumière divine. Il était parti pour toujours. Le peu qui restait encore de lui était en moi. C’est avec cela que je devrais me débrouiller.
Je marchai dans la chapelle. L’autel aurait dû se trouver là, portant la cassette contenant le linceul, à l’ombre de la croix à l’envers qui avait fait si peur à la pauvre Tyceline lorsqu’elle en avait eu la vision. Mais il était absent. À sa place se trouvait un bloc de pierre massif et rectangulaire pareil à celui que j’avais vu dans un autre rêve. De loin, je pouvais voir qu’un corps y gisait sous un drap.
Aux murs, seulement quelques-unes des torches étaient allumées et la chapelle était plongée dans une demi-pénombre lugubre qui me donnait à nouveau la chair de poule. La chemise que je portais ne me protégeait pas de la fraîcheur souterraine et je grelottais comme un chaton trempé. Devant ma bouche, mon souffle formait des volutes qui se dissipaient aussitôt. Je sentis des sueurs froides me couler le long du dos et sous les aisselles. Des sueurs qui avaient l’odeur âcre de la peur. Je tâtai ma hanche et, sans grande surprise, je constatai que j’étais sans arme. Je me sentis
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