Le bouffon des rois
de
velours bleu parsemé de fleurs de lys, de broderies d’or de Chypre et de
blasons peints à même la toile. Autour de lui, s’élevaient deux pavillons secondaires
de même conception, dont les cordages étaient faits de fils d’or de Chypre et
de soie bleu turquoise, matière fort riche et rarissime. C’était le plus
luxueux des campings royaux !
Le roi d’Angleterre avait dressé à Guines un logis de bois
de quatre corps charpentés à Londres et amenés prêts à être montés sur un socle
de briques. C’était la première maison préfabriquée ! Recouverte de toile
peinte imitant la pierre de taille percée de fenêtres tel un palais de verre,
revêtue à l’intérieur des plus riches tapisseries flamandes qui se purent être
assemblées avec les statues d’Hercule et d’Alexandre en guise de portail, on se
trouvait en présence du plus beau bâtiment du monde. Ladite maison, l’entrevue
terminée, fut soigneusement démontée et ramenée outre-Manche. Les Anglais ne
perdent et n’abandonnent jamais rien. Les deux souverains avaient dépensé là
des sommes considérables, fournies de part et d’autre par leurs nobles vassaux,
ceux de France ayant accumulé là leurs moulins, leurs forêts et presque tous
leurs prés.
François Robertet, le frère de Florimond, écrivit sur ce
sujet une pièce satirique : Le Débat du Gorrier et du Boucanier. C’est
une amusante satire sur ces courtisans prodigues qui allaient bientôt porter
« au Camp du Drap d’or leurs moulins et leurs prés sur leurs
épaules » et qui devaient pendant trois siècles laisser des héritiers
fidèles à leurs traditions se ruiner au service du roi et vivre ensuite de dons
extorqués et d’exactions. C’est l’opposition de « l’Être et du
Paraître » qui met en scène un courtisan étalant son luxe ruineux et un
gentilhomme de « costume arriéré mais ami du solide et vivant sagement
de son bien ».
Les deux rois ne songeaient qu’à s’éblouir l’un l’autre.
Henry VIII s’était fait accompagner par cinq mille hommes et trois mille
chevaux. Par une claire fin de matinée en ce 7 juin 1520, les deux rois
arrivèrent à cheval en même temps sur les deux coteaux entre lesquels coule une
petite rivière.
François I er , vêtu de blanc, ceinturé et
chaussé d’or, la tête recouverte d’une toque d’hermine empanachée, était
précédé du connétable de Bourbon qui portait l’épée royale. Henry VIII,
vêtu d’un pourpoint cramoisi et couvert de bijoux de la tête aux pieds, fit de
même avec l’épée d’Angleterre. Ils se joignirent et s’embrassèrent avec une
telle effusion que leurs montures respectives firent un écart en arrière.
Leur première rencontre eut lieu sous la tente la plus
haute, toujours ornée de tapisseries, de riches étoffes et de pierreries.
Henry avait préparé un discours dont il changea certains
termes, se refusant à blesser le roi de France. Il commença à parler de
lui :
« Je, Henry, roi… »
Il s’arrêta car il était écrit « roi de France et
d’Angleterre [8] ». Mais il ne
prononça pas « roi de France » et s’adressant à François, lui
dit :
« Je ne le mettrai point puisque vous êtes ici, car je
mentirais. »
Et il continua :
« Je, roi d’Angleterre… »
En grand amateur de jolies femmes, il ne quittait pas des
yeux la belle Françoise qui étalait une fierté sans pareille d’accompagner son
amant aux côtés de la reine, de Louise de Savoie et des principaux seigneurs de
la cour.
Les jours qui suivirent, Anglais et Français s’observaient,
sans cesse sur le qui-vive : quand le roi d’Angleterre visitait la reine
de France, le roi de France devait se rendre chez la reine d’Angleterre :
« Ainsi ils étoient chacun en ostage l’un pour l’autre. » « Mon cousin », qui n’était pas un homme soupçonneux, « était
fort marri de quoi on se fiait si peu en la foi l’un de l’autre ».
Un matin au soleil levant, une idée qui lui traversa
l’esprit le fit se lever précipitamment. Il vint me secouer avec énergie et
m’ordonna d’appeler discrètement deux gentilshommes et un page. Chacun de nous
s’enveloppa dans une grande cape espagnole et nous partîmes au galop sur la
route de Guines vers le château où dormait Henry VIII.
« Qui vive ? crièrent les hommes d’armes sur les
tours.
— France ! » répondit François I er déjà sur le pont.
On nous laissa
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