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Le calice des esprits

Le calice des esprits

Titel: Le calice des esprits Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Paul C. Doherty
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dans ce qu'il appelait le saint des saints, le grand cabinet de
l'abbaye avec ses fenêtres à vitraux, ses étagères cirées, ses tables, ses
bancs et ses pupitres. Il me montra sa collection de manuscrits et de volumes
précieux, tous annotés avec soin et rangés, les plus rares étant enchaînés ou
enfermés derrière des grillages. Une agréable odeur d'encre, de pierre ponce,
de parchemin, de cuir et de vélin flottait dans l'air comme l'encens dans une
église. Les chandelles à calotte et les lanternes de corne fermées brûlaient
tels des lumignons dans ce sanctuaire d'érudition.
    Frère Léo me fit asseoir à une
table et m'apporta une écritoire de cuir, des cornes à encre, des plumes d'oie
et du parchemin. Je repris donc tout au début. J'établis une liste claire et
précise des événements. Je travaillai au-delà de vêpres et de complies. Le son
étouffé des cloches annonçait les heures et le plainchant des moines, avec ses
versets impressionnants, résonnait : Tu as fait trembler la terre et
l'as ouverte, nous rejetteras-tu complètement, ô Seigneur ? Soutiens-nous
contre nos ennemis. Ces mots trouvaient un écho dans mon cœur. Je priai les
âmes des morts qui, à présent convoquées, semblaient se rassembler autour de
moi.
    Je finis par m'endormir et frère
Léo dut me réveiller. Je rassemblai mes documents et retournai chez la reine.
Elle jouait aux dés avec de jeunes pages qu'elle congédia à mon entrée. Je
verrouillai la lourde porte et pris place sur un tabouret devant elle. Bien que
lasse, je lui narrai le trépas de Rossaleti et, alors que la chandelle des
heures consumait un autre anneau, je fis le récit des événements depuis le
début. Isabelle écouta avec attention, ne laissant paraître sa surprise qu'en
retenant son souffle, et ses doutes que par des questions aussi précises que celles
d'un magistrat. Puis elle se leva et, se penchant sur mon épaule, m'embrassa
sur le front. Elle resta quelques instants près de la fenêtre en fredonnant
l'air de l' Exsulte regina , une hymne chantée pendant son couronnement.
    — Mon époux, déclara-t-elle
sans bouger, a dormi cet après-midi. Il est à présent enfermé avec Lord
Gaveston. Venez, Mathilde, allons couper la racine de tout ceci.
    Elle sourit et cligna des yeux
avec malice.
    — Nous montrerons que Morgane
la fée n'est pas qu'une invention née de l'imagination des trouvères.
    Nous partageâmes une coupe de vin,
prîmes nos pelisses, puis gagnâmes la chambre du roi, accompagnées de quelques
pages. Édouard, affalé dans une large chaire, et son favori, en face de lui,
tous les deux en tenue négligée, ceinturon et bottes jetés sur le parquet,
étaient plongés dans l'étude de cartes déployées sur une grande table de
travail. La reine m'avait ordonné de la soutenir quoi qu'elle fît et, dès
qu'elle fut entrée et qu'on eut fermé l'huis derrière elle, elle repoussa son
capuchon et s'agenouilla en baissant la tête. Les deux hommes bondirent. Le roi
s'avança mais Isabelle tendit les mains.
    — De grâce, mes seigneurs,
écoutez-moi. Faites-moi prêter tout serment qu'il vous plaira sur le ciboire
contenant le corps sacré du Christ ou sur les saints Évangiles.
    — Que signifie ceci,
madame ?
    — Nous avons réfléchi sur les
malemorts de Baquelle, Sandewic et Rossaleti.
    Sa réponse fit naître un certain
trouble. Édouard et Gaveston paraissaient agités et inquiets.
    — Écoutez, mes seigneurs,
insista ma maîtresse, écoutez bien Mathilde.
    Elle se retourna et tendit le
doigt vers moi.
    — Dites-leur.
    Je répétai mot pour mot tout ce
que j'avais confié à la reine. Je parlai avec franchise. Au début, nos
interlocuteurs firent des grimaces sceptiques en hochant la tête, cependant mes
phrases tombaient comme une pluie de flèches. Je ne décrivis pas la félonie en
détail mais, mes hypothèses étant bien exposées, j'en vins sans plus de
précaution à leur conclusion logique. Édouard, un peu pâle, se rassit dans sa
chaire et d'un geste invita Isabelle à s'asseoir aussi. La reine, pourtant,
refusa. Je continuai. Gaveston m'interrompit par un déluge de questions
auxquelles je répondis. Quand j'en eus fini, Isabelle tendit derechef les
mains.
    —  Mon seigneur *, mon
époux, s'il vous plaît, écoutez-moi. J'ai joué votre jeu, mais à présent c'est
terminé. Je vous supplie, seigneur, de me révéler la vérité. Dites-moi que vous
n'avez point trempé dans le trépas de ces

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