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Le calice des esprits

Le calice des esprits

Titel: Le calice des esprits Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Paul C. Doherty
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vous
répondre, je n'ai point vu Rossaleti et il y a là un mystère, Mathilde.
Westminster dort encore, mais une cogghe de guerre française a remonté la
Tamise et a mouillé à Queenhithe. Elle vient quérir Marigny et sa bande. Je
serai bien aise de voir ces beaux seigneurs tourner les talons ! Quant à
Rossaleti — il descendit les marches, l'air important —, moi
aussi je le cherche. J'aimerais lui poser certaines questions.
    Je le regardai s'éloigner puis me
rendis à la chapelle de St Peter ad Vincula. La porte était ouverte car le
peintre, qui se présenta comme étant celui qui avait réalisé la Grande
Merveille de l'hôpital St Camillus sur la route de Cantorbéry à Maidstone,
était occupé à tracer au fusain les dernières esquisses sur le mur du fond. Il
avait tout d'un écureuil avec ses yeux noirs exorbités et ses joues rebondies
sous son crâne dégarni et luisant. Je lui avouai n'avoir pas encore, à mon
profond regret, vu la Grande Merveille sur la route de Maidstone mais me
récriai d'admiration devant les fresques de St Peter.
    — Pauvre Sir Ralph, déclara
l'auteur de la Grande Merveille en hochant la tête. Il voulait tant voir cette
œuvre achevée.
    Je le flattai avec aménité pour
qu'il commente la fresque attrayante dans ses tons de rouge, brun, vert et or. En
l'écoutant, je compris alors l'intérêt passionné que portait Sandewic à cette
chapelle au chœur sévère et à l'atmosphère mélancolique. Sandewic était un
vieil homme qui avait vécu sous les règnes du père et du grand-père d'Édouard,
un homme qui avait sans doute entendu des témoignages de première main sur les
troubles de l'époque du roi Jean, l'aïeul d'Édouard. Il avait assisté à maintes
reprises aux tumultes de la guerre civile qui faisait rage en Angleterre entre
le monarque et les barons. Et, surtout, il savait que les membres de la maison
royale française trempaient leurs épées dans le sang de son pays. Les peintures
de St Peter ad Vincula évoquaient en détail les événements de 1216,
quatre-vingt-dix ans plus tôt, quand le prince Louis de France avait envahi
l'Angleterre pour tenter d'usurper le trône du jeune roi Henri III. Louis avait
remonté le fleuve et avait bel et bien occupé la Tour, en y installant une Cour
et en se proclamant même « Louis roi d'Angleterre par la grâce de
Dieu ». Les fresques montraient tout cela ainsi que la terrible lutte qui
s'était ensuivie. L'auteur de la Grande Merveille de la route de Maidstone me
raconta que Sandewic avait appris ces épisodes dans les Flores Historarum  — « Les
Fleurs de l'Histoire » —, la célèbre chronique qui se trouvait à
Westminster.
    J'observai ces croquis avec
beaucoup d'attention. Rien d'étonnant à ce que St Peter ad Vincula fût le
« Calice des Esprits » de Sandewic. Il contenait des images non
seulement du passé, mais aussi d'un possible avenir. J'étais encore plongée
dans une profonde conversation avec l'auteur de la Grande Merveille quand
Demontaigu entra dans la chapelle et me fit signe de le rejoindre.
    — On a retrouvé Rossaleti
mort, chuchota-t-il. Son corps a été retiré de la Tamise. Casales a envoyé un
moine de Westminster ; il croit que Rossaleti essayait de monter à bord de
la cogghe de guerre française.
    Nous partîmes sur-le-champ et
prîmes une barge royale guidée par des maîtres rameurs. Ils franchirent sans
mal les terribles tourbillons entre les arches du Pont de Londres et
manœuvrèrent avec adresse dans la brume glaciale. Nous accostâmes à King's
Steps et traversâmes en hâte l'enclos du palais toujours sous sa couche tenace
de gelée blanche. Les cloches retentissaient. Des moines voletaient comme des
spectres dans les allées et les corridors. Les serviteurs royaux couraient
accomplir leurs tâches pour pouvoir très vite rentrer se réchauffer devant des
feux ronflants. Nous apprîmes que la dépouille de Rossaleti, à cause des
célébrations dans le palais, avait été emportée et déposée sur la table
d'exposition dans la chapelle mortuaire. En compagnie de Demontaigu, je me
précipitai dans l'enceinte de l'abbaye à travers le cloître glacial et dépassai
la salle du chapitre dont les statues, les sculptures et les gargouilles me
jetaient de sombres regards pétrifiés. La lumière provenait de flambeaux fixés
sur des supports. En passant devant la solide porte de la salle du trésor, je
notai qu'on y avait fiché quelque chose qui ressemblait à un

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