Le calice des esprits
représentant le martyre de saint Denis, des
brimborions et des jouets ; ils lui firent même don d'un furet, qui, par
la suite, fut tué par la levrette de Charles.
C'était un trio sinistre, un trio
d'hommes dangereux qui tapotaient la gaine de leur dague en parlant. Ils
méprisaient les valets et se montraient cruels envers les membres de leur
maisnie. Ils entraient en fanfaronnant chez Isabelle comme des prétendants,
désireux de la voir et pourtant rivaux entre eux. Isabelle les recevait
toujours avec grâce mais avec froideur. Elle trônait telle une petite reine des
neiges dans les contes, les mains dans son giron, un sourire contraint et figé
aux lèvres. Un jour, Louis tenta de la prendre par la taille et de l'attirer
vers lui. Isabelle se rebiffa en vrai chat furieux ; même moi je fus
surprise par la dextérité avec laquelle le stylet fin comme une aiguille
apparut entre ses doigts. Elle l'appuya contre la joue de son frère. Ils continuèrent
à se quereller à voix basse. Louis, couvrant de la main la légère estafilade
sur sa joue, recula. Il grommela quelque chose à l'adresse de ses frères et ils
s'en furent en riant ; c'est alors seulement que Philippe me jeta un coup
d'œil, un sourire sournois sur sa figure courroucée. Ils claquèrent la porte
derrière eux et se mirent à taquiner et à lutiner les dames qui se trouvaient
là. Isabelle s'assit brusquement. Son humeur changea : elle n'était plus
impérieuse, mais pâle, et les larmes ruisselaient sur ses joues. Je me
précipitai pour m'agenouiller devant elle, mais elle tapota le banc à côté
d'elle. Je ne la touchai pas. Je ne lui dis pas un mot. Je restai simplement
assise tandis qu'elle baissait la tête, les épaules tremblantes, ne relevant le
visage que lorsque ses larmes se furent taries.
— En va-t-il toujours de
même, Mathilde ? chuchota-t-elle. Dans toutes les familles ? Les
frères passent-ils la main sous la tunique de leurs sœurs, les prennent-ils par
le cou et leur pincent-ils les seins ? Se glissent-ils, en pleine nuit,
entre les draps de leurs sœurs ?
Elle cilla et se mordit les
lèvres.
— Je voudrais être partie,
être loin d'ici et ne jamais revenir !
Elle me tapota la main.
— Vous viendrez avec moi, me
dit-elle en souriant à travers ses larmes. Vous, Mathilde qui ne pipez mot,
pourtant.
Son sourire s'effaça.
— En vieillissant, votre cœur
en verra bien d'autres.
Elle fit glisser un anneau coûteux
de son doigt et me le mit de force dans la main.
— Souvenez-vous de moi !
Souvenez-vous de ce que je vous dis !
Je finis par rencontrer le roi en
personne, qui, chaussé de ses bottes à éperons, revenait de la chasse et
montait quatre à quatre l'escalier au milieu de ses écuyers, Enguerrand de
Marigny (ah ! mon ennemi aux cheveux roux !), de Plaisians et
Nogaret, ces hommes de loi retors qui avaient scandalisé la chrétienté en
ordonnant à leurs valets d'attaquer le précédent pape, Boniface VIII, dans la
ville d'Anagni. Eux aussi me jetèrent à peine un coup d'œil. Ils le regretteraient
par la suite ! On me fit signe d'avancer et de m'agenouiller aux pieds du
souverain. Il pressa fort ses doigts chargés de bagues contre mes lèvres, puis
glissa sa main sous mon menton et m'obligea à lever les yeux. J'avais ouï bien
des propos sur Philippe le Bel. En ce qui concernait son portrait au moins,
tout était vrai ! Son visage était d'un blanc d'ivoire et ses cheveux
d'argent ; à première vue, on l'aurait pris pour un albinos. Il avait les
yeux bleu clair, sa main était glacée au toucher et il se comportait avec
froideur. Il me fixa, impassible, me tapota la tête comme si j'étais un chien
et m'écarta.
Au début, j'étais très tourmentée.
L'inquiétude que j'éprouvais pour ma mère (à qui je n'avais pas osé écrire),
mes cauchemars au sujet d'oncle Réginald et mes craintes pour ma sécurité
gâtaient mon sommeil mais, les jours passant, je commençai à me détendre. Ma
chambre était confortable. La princesse ne faisait jamais allusion à Marie. À
la place, elle me parlait de tout. Aucun ragot, aucun commérage de la Cour ne
lui échappait : quelle dame était infidèle à son époux, qui était en
faveur, qui en disgrâce... et elle ne cessait de me regarder et de m'étudier
avec soin. Un après-midi, peu après mon arrivée, Isabelle m'envoya à l'autre
bout du palais ; je devais m'informer d'un tabouret qu'elle avait envoyé
aux menuisiers royaux. Je
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