Le calice des esprits
cou. D'une voix douce, il intervenait parfois pour
orienter la conversation vers son véritable but. Si l'union entre Isabelle et
Édouard d'Angleterre pouvait, certes, prêter à discussion, cela n'entachait en
rien l'amour et le respect personnels du roi anglais envers sa fiancée. En
d'autres termes, les deux ambassadeurs proclamaient qu'Isabelle ne devait point
se sentir offensée ; la position hostile adoptée par Édouard n'était
qu'une question de politique.
Isabelle écoutait avec attention
leurs propos courtois et répondait avec la même aménité. La plume du scribe
crissait sur le parchemin. Je me souviens qu'un bruit violent provenant d'une
fenêtre derrière moi me fit sursauter. Je regardai alentour et aperçus un
corbeau qui donnait des coups de bec dans le verre. Cela fit sourire la
princesse qui acheva son compliment en passant ses jolis doigts blancs sur son
front. Puis elle présenta ses plus sincères condoléances pour le décès de Sir
Hugh Pourte. Casales les accepta d'un signe de tête.
— Notre visite, dit-il avec
un sourire faux, a été fort gâchée par des tragédies. On a retrouvé l'un de mes
clercs, Matthew de Crokendon, poignardé dans le cimetière des Innocents, et nul
ne sait par qui. La dernière fois qu'on l'a vu, il quittait une taverne avec
une fille, une ribaude, mais personne ne peut se souvenir d'elle.
Je restai de marbre et Casales
commença à évoquer le transport du corps de Sir Hugh Pourte en Angleterre.
Isabelle, impassible, prêta une oreille attentive et offrit son aide. Ce ne fut
que lorsque l'on mentionna derechef maître Crokendon que ses yeux bleus dans
leur candeur angélique se tournèrent un instant vers moi et qu'elle prit un air
de feinte affliction.
À la fin de la réunion, le scribe
demanda s'il convenait de servir le vin blanc et les friandises. Isabelle
secoua la tête et s'empressa de se lever. Je fis de même. Dans mon esprit,
comme dans un chaudron bouillonnant, des images de Face de Rat crachant du sang
et s'écroulant contre le mur du dépositoire, de mon oncle poussé sur l'échelle
de l'échafaud vers le nœud coulant qui l'attendait, se bousculaient. En
réalité, j'avais peur, mais Isabelle, pour me réconforter, m'effleura le
poignet d'une rapide caresse et je la suivis vers la porte.
— Madame ?
La princesse se retourna.
— Madame — Casales
esquissa un salut —, votre père m'a laissé entendre que vous alliez vous
rendre en ville.
— En effet, répondit-elle,
j'ai plusieurs emplettes à l'aire. Je dois aller voir les marchés. Il faut que
j'écrive à mon fiancé. J'ai besoin de certains parchemins.
Elle désigna le scribe qui
rassemblait en hâte ses plumes et ses documents.
— J'irai rue des Écrivains.
— Auquel cas,
madame — Casales ébaucha un autre salut élégant —, pouvons-nous
vous accompagner ? Mon maître m'a prié de vous décrire du mieux que je le
pouvais l'Angleterre, Londres et Westminster.
Son ton avait pris un tour
persifleur et Isabelle répondit sur le même registre. Casales exprima à nouveau
son désir de nous escorter et expliqua que s'il fallait déplorer le trépas
soudain de son collègue, Sir Hugh Pourte, la tâche que lui avait assignée le
roi d'Angleterre devait néanmoins être menée à bien.
Isabelle ne pouvait repousser ces
civilités. Elle revint à la table, fit asseoir les deux hommes d'un geste et
pria le scribe de faire apporter vin blanc et douceurs. L'entregent et les
gracieusetés envers autrui n'avaient plus de secrets pour elle. Elle ne tarda
pas à pousser ses interlocuteurs à parler d'eux-mêmes et interrogea Casales sur
ses services de guerre en Écosse et autres lieux. Ensuite elle se tourna vers
Rossaleti et lui fit part de son profond regret des drames qu'il avait connus
dans sa vie. Bien qu'elle n'eût que treize ans, Isabelle était assurément la
fille de son père. Elle pouvait, quand elle le voulait, se montrer charmante,
gentille, compréhensive, et savait écouter avec attention, en acquiesçant aux
bons moments. Les deux envoyés, expérimentés et habiles dans leur domaine,
bavardaient comme des enfants, mais, à cette époque, nous n'étions rien de
plus, ma maîtresse et moi. Nous avions encore beaucoup à apprendre. Ce ne fut
qu'après avoir dégusté le vin et les pâtisseries qu'Isabelle tendit le doigt
vers la croisée en murmurant que le temps passait et que nous ne devrions pas
tarder à sortir. Elle accepta avec grâce leur
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