Le calice des esprits
de marches raides. C'était un lieu de dévotion, de ténèbres mouvantes où
la lampe du chœur brillait comme un fanal. Des lumignons palpitaient sous des
statues noyées dans l'ombre. Des oratoires qui flanquaient la nef s'échappait
le chant des messes de requiem dont les refrains sacrés montaient dans l'air
chargé d'encens : « Moi, Jean, je vis un nouveau ciel et une nouvelle
terre... » ; « Accorde-leur le repos éternel, Seigneur, et que
brille sur eux la lumière sans déclin... »
Isabelle descendit la nef vers le
siège de miséricorde. Un moine, tel l'Ange du Jugement dernier, se tenait
derrière une haute table. Les archers s'éloignèrent pour admirer un tableau
près du grand portail. Isabelle s'arrêta et me tira par la manche.
— Je viens céans,
souffla-t-elle, pour commander des messes à l'intention de ma mère assassinée.
Je vais maintenant payer afin qu'on en dise une pour Hugh Pourte...
Elle ouvrit la main et me montra
trois pièces d'argent.
— ... et une pour votre
oncle.
Elle se signa et rejoignit le
siège de miséricorde, un banc à haut dossier garai de coussins. Nous nous
assîmes. Le moine qui nous faisait face, le visage à moitié caché sous un
profond capuchon, prit sa plume et ouvrit devant lui le registre des morts qui
baignait dans la lumière de deux chandelles placées de part et d'autre. Le
religieux ne nous salua pas, mais consulta sur-le-champ le calendrier des
saints et inscrivit les trois messes aux noms que chuchota Isabelle. Elle fut
circonspecte quand elle en vint à mon oncle et se contenta de murmurer
« Messire Réginald ». Le moine lui répondit à voix basse, indiquant
quels jours et dans quels oratoires seraient célébrées les messes. Isabelle
s'en soucia peu : nous ne pourrions jamais y assister. Ce moine de la
mort, le Greffier des Âmes du Purgatoire, nous fournit d'autres détails, dans
un doux marmonnement, comme s'il absolvait nos péchés.
Derrière le religieux, accrochée
au jubé, se trouvait une riche tapisserie qui retint mon attention. La lumière
des cierges en rendait les scènes vivantes. C'était une vision du Purgatoire
représentant des âmes en proie à diverses tortures : suspendues à des
crochets de boucher par la mâchoire, la langue et le bas-ventre plongés dans la
glace ou bouillant dans des cuves de métal liquide comme poisson dans l'huile
chaude. Un artifice habile ! Cela devait obliger tous les visiteurs de
cette église à réfléchir aux Quatre Dernières Échéances [9] , au
moment où ils rencontreraient leur propre mort et aux péchés secrets dont ils
s'étaient rendus coupables. La tenture montrait comment un feu consumait l'entrefesson
des luxurieux et comment les ivrognes devaient ingurgiter de la vermine
ardente. Cela m'incita à m'interroger sur l'amour de Jésus et le destin d'oncle
Réginald. Un tel homme avait sans nul doute vécu son Purgatoire dans les
cachots du Châtelet. Si le Christ était bon et Dieu compatissant, messire
Réginald serait accueilli au Paradis sans subir ces châtiments.
Soudain, la conversation à mi-voix
entre Isabelle et le moine se modifia. La princesse, penchée pardessus la
table, s'exprimait en navarrais, langue qu'elle avait apprise de sa mère et
dont elle usait chaque fois qu'elle était troublée ou inquiète. Elle tendait
une seconde escarcelle. Le religieux s'en empara d'un geste vif. Il lui remit
des sachets qui disparurent dans les larges poches de la robe de la jeune
fille. Puis le moine reprit la parole, non en chuchotant en français cette fois
mais dans un rude navarrais. La réponse d'Isabelle fut aussi prompte. Je saisis
les mots « Frère Marco ». Ce dernier esquissa une bénédiction.
Isabelle se leva, s'inclina vers le maître-autel et se retira.
Nous étions au milieu de la nef
quand elle s'arrêta. Elle désigna la voûte aux poutres grossières où l'on avait
cloué des médaillons figurant les visages sereins des anges et fit semblant de
me les décrire.
— Frère Marco est un frère de
la Sainte-Croix, me glissa-t-elle. Il appartenait jadis à la maison de ma mère.
Lui aussi connaît la vérité de Dieu sur le passé. C'est de plus un herboriste,
et fort savant ; il me donne certaines poudres.
Je retins mon souffle, saisie par
le coup d'œil en coin de ces étranges yeux bleus.
— Ma pauvre mère a été
soignée par trois des physiciens de mon père. Je sais ce qui s'est passé,
Mathilde.
Son ton se fit plus
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