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Le calice des esprits

Le calice des esprits

Titel: Le calice des esprits Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Paul C. Doherty
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état ; je n'avais pas encore
compris la profondeur du ressentiment qui habitait cette toute jeune femme.
Négligée et maltraitée, elle tendait sa propre toile et avait hâte de mener sa
vengeance à bonne fin. C'est ce que je veux vous expliquer. Je dois décrire la
situation comme je décrirais l'émergence de symptômes ou la convergence de
planètes en respectant l'ordre logique de leur développement ; je dois
décrire sans mentir ce que nous avons ressenti, vu, et ce que nous avons fait à
cette époque-là. Je n'ai pas l'intention de faire preuve d'arrogance, comme si
j'avais pu prédire les événements. Les déductions après coup font de nous tous
des sages et seul un sot, ou un menteur, accorde foi à telle sagesse.
    Nous passâmes le reste de la
matinée à nous préparer pour rencontrer Casales et Rossaleti. La princesse,
maintenant, était traitée comme une personne à part entière, et quand nous
allâmes dans la salle du conseil de son père, seul un scribe royal, un
vieillard blême, nous rejoignit. Isabelle s'assit au haut bout de la
table ; je pris place à sa gauche ; Casales et Rossaleti à sa droite.
Le scribe s'installa au bout de la table, plume immobile au-dessus de la corne
à encre, prêt à prendre des notes, à rapporter à ses maîtres tout ce qui
s'était dit. J'embrassai la pièce simple et austère du regard. Les fresques,
sur le blanc mat des murs plâtrés, dépeignaient des scènes de la vie du Christ.
Au fond était suspendu un immense crucifix ; en face, on avait aménagé une
estrade et une rangée de pupitres où les scribes royaux pouvaient s'installer
et répondre, au besoin, à l'appel de leurs maîtres. Les poutres du plafond
ressemblaient à celles d'une grange. Plus je restais là, plus je me demandais
si tout n'était pas que comédie. Était-ce un genre de tableau vivant, une
mascarade de Cour afin que Philippe, Marigny ou l'un des Secreti puissent se livrer à des observations ? Isabelle, vêtue avec la plus
grande modestie, se comportait fort bien.
    — Vous vouliez me voir,
messires ?
    Respectant le protocole de la
Cour, la princesse engagea la discussion. Le scribe attendait, la plume en
l'air. Rossaleti répondit par les amabilités habituelles. Je scrutai les deux
hommes. Casales était un rude soldat de métier, un chevalier qui avait voyagé
loin et combattu dans moult batailles. Son visage émacié et rasé de près
laissait voir les cicatrices dues aux années qu'il avait passées en campagne.
Son poignet tranché était glissé dans un étui de cuir qu'il dissimulait sous la
table. Yeux profondément enfoncés sous d'épais sourcils, nez pointu, lèvres
fines, il avait l'air d'un ascète. Seule la fossette de son menton adoucissait
ses traits durs.
    Par bien des aspects, Casales me
rappelait certains templiers. Habillé sans recherche, il ne portait pas de
bijoux, hormis une chaîne d'argent au cou, cadeau, me confia-t-il plus tard, de
sa mère morte depuis longtemps. Guerrier de profession, il avait du mal à
rester immobile et sa main gauche ne cessait de tapoter la table. Il ne me
regarda qu'une fois mais ne parut pas me reconnaître et, soulagée, je murmurai
un Ave. Il parlait un français raffiné et j'en conclus qu'il jouissait de
l'amitié et de la confiance du favori anglais Lord Peter Gaveston, comte de Cornouailles.
Il précisa qu'il était lui-même à moitié gascon et avait servi Gaveston à la
fois en Gascogne et en Angleterre. Lui et Rossaleti avaient passé des mois à
Westminster ; ils s'étaient rencontrés pour parler du mariage projeté et
une solide amitié était née entre les deux émissaires.
    Rossaleti appuyait le discours de
son compagnon de hochements de tête bienveillants. Étant assise en face de lui,
je pus constater que Rossaleti, vêtu de noir comme un moine bénédictin, n'était
pas aussi jeune que je l'avais cru.
    On devinait qu'il venait d'Italie
ou des provinces ensoleillées du Sud. Si son visage était beau, presque
féminin, avec des yeux noirs et une peau mate, des rides profondes ravinaient ses
joues. Il était toujours sur le point de sourire et son regard mobile vous
contemplait avec curiosité comme pour vous jauger à votre juste valeur. Il
était corps et âme dévoué au roi Philippe et pourtant, à cette époque, il me
plut. J'essayai de ne pas tenir compte du lourd anneau d'or frappé des armes
des Capétiens au majeur de sa main droite, main qu'il portait sans arrêt au
chapelet pendu à son

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