Le calice des esprits
panais
empoisonné ou toute autre variété, de jardin ou d'eau. Je reconnus ses
symptômes particuliers et me rappelai la description que fait Platon de la mort
de Socrate : la raideur des membres, la perte progressive de sensations,
la respiration étranglée suivie des convulsions finales. L'abbé Wenlock avait
été empoisonné par de la ciguë mêlée à son vin, mais pourquoi, comment et par
qui ?
CHAPITRE VI
Les fils de l'iniquité écrasent ceux
qui leur résistent .
Chanson des temps anciens, 1272-1307
La mort de Wenlock jeta une ombre
sur la célébration de Noël. Philippe et ses conseillers s'en affligèrent à
grands cris, mais en réalité, pour la Cour de France, l'abbé n'était qu'un
vieil homme qu'on avait envoyé accomplir un voyage périlleux au beau milieu de
l'hiver ; il avait simplement eu une attaque et avait trépassé. Sa
dépouille fut lavée et embaumée, on remplit son cercueil en noyer de tablettes
parfumées et de sachets d'herbes avant de le sceller pour le renvoyer aussi
vite que faire se pouvait à Westminster. Une fois encore je me rendis au
dépositoire, où deux valets au visage sale préparaient le corps du défunt
pendant qu'un membre de l'escorte de Wenlock, un jeune chapelain nommé Robert
de Reading, récitait l'office des morts. Il en était aux mots « Ah !
doux Jésus — ne m'abandonne pas à la réprobation, pense que c'est
pour sauver mon âme que tu t'es incarné ! » et le latin rendait plus
solennels encore les inquiétants versets qu'il débitait. Je restai là
emmitouflée dans ma mante ; l'endroit était glacial. Je ne perdais rien de
la scène tout en égrenant le chapelet entre mes doigts. J'avais déposé à la
tête du cadavre les fleurs d'hiver et un bouquet de verdure que la princesse avait
envoyés. À présent, j'observais le mort avec attention. La rigor mortis avait, bien sûr, en ce jour de Saint-Étienne, rendu la chair dure comme marbre,
mais je remarquai aussi la légère plaque violacée sur le ventre velu ; il
y en avait une sur les joues également. Quant à la langue et aux lèvres, elles
étaient pourpres comme si on les avait badigeonnées de vin. Les médecins de
Philippe avaient peut-être eu des soupçons, mais qui aurait osé les
formuler ? Ou alors ils ignoraient tout de la ciguë. La mort frappe
toujours vite ; du début des troubles à la fin, il ne se passe peut-être
pas plus de trois heures et les effets peuvent être précipités selon que le
poison a été distillé à partir du fruit de la plante, de ses feuilles ou,
encore plus fatal, de sa racine si elle a plus d'un an. L'âge et la fatigue de
Wenlock, sans parler du vin, pouvaient avoir accru ses conséquences létales.
L'huis du dépositoire s'ouvrit et
Sandewic, portant le cierge du requiem, entra. Il le plaça sur la table où
reposait le corps, se signa et ressortit soudain. Il m'attendait dehors en
soufflant sur ses doigts gantés de mitaines et en tapant du pied. La glace
rendait le sol glissant, aussi m'offrit-il le bras. Je me souvins qu'il
souffrait de maux d'oreilles et de gorge.
— Venez, lui proposai-je. La
princesse serait heureuse de vous voir et je pourrai exercer mes talents.
Il eut un sourire malicieux et me
tapota la main.
— Comme j'ai de la
chance ! Je n'aurais jamais imaginé qu'une damoiselle aussi belle et aussi
jeune me montrerait une telle affection.
Nous commençâmes à plaisanter et
cela me rappela tant les jours que j'avais passés avec oncle Réginald que les
larmes me brûlèrent les yeux, ce que je m'empressai de mettre sur le compte du
froid. Sandewic fit halte au milieu de la cour et regarda le terrain nu. Des
serviteurs traînaient des bûches de Noël jusqu'à la porte renfoncée des
cuisines ; des servantes, les bras chargés de houx vert aux grosses baies
d'un vif rouge sang, les escortaient. D'autres apportaient des vrilles de lierre
pour décorer les cuisines, les resserres et les galetas des valets car la
Saint-Étienne était leur jour de fête.
— Lord Wenlock a été assassiné, n'est-ce pas ?
Je répondis par un regard serein.
— Comme l'a été Pourte, comme
a failli l'être Casales ? Comme je pourrais l'être ?
Sandewic se racla la gorge et
cracha.
— Pourquoi, m'enquis-je,
pourquoi dites-vous ça ?
Il était sur le point de
s'expliquer quand nous vîmes sortir Casales et Rossaleti portant des cierges funèbres,
protégés contre le vent par des calottes,
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