Le calice des esprits
qu'ils voulaient mettre sur la table
où gisait Wenlock. Ils s'arrêtèrent pour nous saluer. Casales avait l'air
anxieux et tendu.
Il s'approcha autant qu'il le put
et se mit à parler à voix basse en anglais :
— Messire, plus tôt nous
partirons...
— Certes, l'interrompit
Sandewic, mais nous devons attendre la décision des princes.
Nous échangeâmes quelques
civilités, puis reprîmes notre route vers le palais où j'installai Sandewic
dans les appartements de la princesse. J'examinai avec grand soin ses oreilles
et sa gorge, puis je préparai une solution d'eau chaude bien salée que je lui
conseillai d'inhaler. Il s'exécuta, toussant et crachant, rejetant le phlegme
infecté. Quand il eut terminé, je lui versai de l'huile tiédie, spécialement
distillée, dans les oreilles afin de dissoudre le cérumen durci. Je lui fis
prendre de la verveine pour sa gorge et appliquai un cataplasme d'herbes sur un
petit ulcère qu'il avait à la jambe.
Isabelle, occupée à certaines listes
établies par son père, s'approcha pour regarder. Ma maîtresse avait le cœur
bien accroché en dépit de ses exquises manières courtoises. La dernière potion
que je préparai pour Sandewic la fascina tout particulièrement. J'en avais pris
les ingrédients aux cuisines et dans les réserves de l'apothicairerie : de
la mousse sèche moulue très fin, trempée dans un astringent et mêlée à la crème
réduite en poudre d'un lait tourné depuis longtemps. Je leur signalai à tous
deux que j'ignorais comment cela agissait, mais que c'était un médicament
reconnu contre maintes infections internes quand les humeurs du corps
s'enflammaient et que le malade avait l'impression de brûler. Sandewic était
bel et bien fiévreux. Il se détendit peu à peu et but la coupe de posset qu'Isabelle
avait accommodée dans l'âtre. Il m'apprit qu'il se méfiait de tous les
physiciens, puis m'interrogea avec insistance sur mes connaissances et
l'endroit où j'avais étudié. Je lui répondis par le conte que j'avais mis au
point avec tant de soin et répété comme un étudiant le fait d'un syllogisme.
Sandewic me crut, du moins je le pense. À mon tour je le questionnai sur le
trépas de Wenlock et de Pourte, mais il était sur ses gardes, bien qu'il admît
à contrecœur qu'il avait des soupçons quant à ces deux morts.
— La nuit où Pourte a péri,
déclara-t-il, Casales et Rossaleti étaient enfermés avec Plaisians et Nogaret.
Il semble que Pourte ait dit qu'il était trop las pour assister à la
réunion ; il avait sommeil. Il était donc seul. Il est possible que le vrai
meurtrier — ou les vrais meurtriers — ait engagé des
tueurs, les mêmes qui plus tard ont attaqué Casales.
Il continua comme s'il parlait
pour lui seul :
— Mais la nuit dernière,
comment Lord Wenlock a-t-il pu être empoisonné si ce n'est par quelqu'un assis
à sa table ?
— Ou avant, l'interrompis-je.
La ciguë est un poison aux effets progressifs.
— C'est vrai, acquiesça
Sandewic. J'ai parlé à Marigny. Tout menteur qu'il soit, il affirme que Lord
Wenlock était fort silencieux, inquiet, il semblait se sentir mal depuis le
début du banquet. Il a très peu bu et mangé.
Sandewic étendit sa jambe
douloureuse sur le tabouret et soupira de soulagement.
— Je me sens mieux !
murmura-t-il. Cela fait du bien de s'asseoir et d'être au chaud. J'ai pitié du
pauvre Wenlock. Sir John Baquelle, ajouta-t-il comme après coup, est un honnête
homme, mais il a réglé le problème du trépas de l'abbé en y voyant la volonté
de Dieu. Baquelle s'intéresse surtout à l'affaire présente.
— C'est-à-dire ?
— Mais votre mariage, madame,
bien sûr !
Isabelle, désireuse de revenir à
une question qui ne cessait de la tracasser, claqua des doigts :
— Et Édouard
d'Angleterre ? Il a changé d'avis juste comme ça ?
— On lâche une flèche,
grommela Sandewic. Elle peut voler, elle peut s'élever, mais en fin de compte
il faut qu'elle retombe.
Il tapa sur l'accoudoir de sa
chaire.
— Votre mariage, madame, est
assuré comme s'il était gravé dans le roc. Il ne peut en aller autrement.
Il bâilla.
— Quant aux templiers, eh
bien, la tête de cet ordre se trouve en France et, si on la tranche, à quoi
servent les bras ou les jambes ? Mon seigneur * le roi le sait bien.
Il n'emprisonnera ni ne torturera les templiers, mais il a grande envie de
s'emparer de leurs richesses.
— Messire, demandai-je
encore,
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