Le calice des esprits
effectum sequitur causam — l'effet suit la cause. Mes
relations avec mon beau cousin de France ne sont pas cordiales et leurs fruits
ont pu devenir plus amers encore ! C'est une question de politique, de
logique : tel père, telle fille. On se demanderait pourquoi vous ne suivez
pas les traces du roi Philippe.
— Ce ne serait pas difficile
à comprendre ! s'écria Isabelle.
— Vous devez jouer ce rôle,
insista Gaveston. Sa Grâce a épousé une princesse française ; il importe
au Conseil d'Angleterre, et surtout au roi Philippe lui-même, que la Couronne
française croie qu'elle a, ou fasse comme si elle avait, une influence
excessive sur Sa Grâce simplement parce qu'elle vous a épousée.
Il s'inclina devant Isabelle.
— J'ai consulté les écrits
des hommes de loi de votre père, des hommes comme Pierre Dubois. Philippe rêve
du jour où un prince capétien, votre rejeton, portera la couronne du Confesseur
tandis qu'un autre deviendra duc de Gascogne.
Il leva les mains.
— Que Philippe s'abandonne
donc à ses rêves, cela ne veut pas dire que nous devons y participer !
Le commentaire de Gaveston était
cohérent et coulait avec tant de naturel qu'il était convaincant. Les ambitions
du roi Philippe étaient notoires ; l'acharnement qu'il avait mis à la
réalisation du mariage de sa fille et la question des templiers étaient connus
de tous. Édouard, à présent, n'avait d'autre choix que de l'affronter ou de
passer pour son valet. Pourtant ma gêne et mon malaise persistaient.
— Qu'est-ce que cela
signifie ? interrogea Isabelle. En pratique ?
— Pour respecter le traité de
mariage, je dois vous donner des terres et des domaines, ici, en Angleterre.
Pour le moment je n'en ferai rien, mais, s'empressa d'ajouter le roi, je
m'assurerai en secret que vos besoins seront comblés.
Isabelle leva son gobelet de vin
en hommage au souverain.
— Vous pourriez faire mieux.
Ce château contient tous les cadeaux et présents de noce faits par mon père,
mes oncles, mes frères, Marigny et leurs comparses, cracha-t-elle avec tant de
haine que j'en fus moi-même surprise. Pourquoi ne pas les offrir tous à Lord
Gaveston ?
Elle but une gorgée.
— Je n'en veux pas. Je ne
veux rien d'eux. Je préférerais être chassée et me retrouver en chemise sur les
routes. Je préférerais loger dans la hutte d'un charbonnier au milieu de vos
bois humides et l'appeler mon palais que de vivre de ce qu'ils m'ont donné.
Voilà ma réponse.
Gaveston et le roi lui jetèrent un
regard étonné, visiblement troublés par la passion avec laquelle elle s'était
exprimée.
— Alea jacta est ,
murmura le favori. Les dés en sont jetés et le jeu peut commencer.
Il se leva et s'enfonça dans
l'ombre d'où il rapporta une boîte à bordure d'argent longue comme un coffre à
flèches. Il la déposa sur la table, ouvrit les fermoirs et en sortit deux
superbes zibelines, une foncée et l'autre blanche comme neige.
— Elles viennent des forêts
autour des mers gelées du Nord.
Il posa les fourrures sur les
genoux d'Isabelle puis prit dans le coffre une petite escarcelle de cuir. Il en
fit tomber le plus brillant des rubis, serti dans une étoile d'or. Il passa la
chaîne au cou de la princesse et s'agenouilla devant elle. Isabelle serra ses
mains entre les siennes et accepta son allégeance sans mot dire. Gaveston se
releva et me désigna du doigt.
— Quant à vous... J'ai tant
entendu parler de Mathilde, la sage !
Le rire d'Édouard et d'Isabelle
allégea l'atmosphère.
— Cavete Gascones ferentes
dorta , continua Gaveston — méfiez-vous des Gascons chargés de
cadeaux.
Il fouilla derechef dans la boîte
et en sortit un livre à la reliure écarlate, clos par des fermaux d'or. Il le
mit dans mon giron. Édouard et Isabelle chuchotaient entre eux, boucles d'or
confondues. Malgré les présents et la courtoisie, j'éprouvai une pointe d'envie
que je m'empressai de chasser. J'ouvris les fermoirs et déchiffrai le titre
écrit avec soin : Traité de la différence des symptômes , par
Galien. Je remerciai mille fois Gaveston. Il s'assit et commença à me poser de
nombreuses questions précises sur mes connaissances en matière de simples et de
potions. Il m'expliqua qu'Agnès, sa mère, avait elle aussi été physicienne, en
une ville du Béarn, en Gascogne. Dès qu'il mentionna son nom, Édouard se raidit
et s'écarta d'Isabelle. Gaveston ne souriait plus ; les traits tirés, il
avait
Weitere Kostenlose Bücher