Le calice des esprits
déploiement de magnifiques
tentures décoratives gonflées par le vent. Des trompettes claironnaient ;
des clameurs retentissaient. Des maisons et des échoppes, séparées par des
intervalles destinés aux grands tas d'ordures et d'immondices, propres et vides
à présent, flanquaient le pont. Les piques des garde-fous avaient été
débarrassées des têtes coupées qui y pourrissaient et ornées de banderoles
bigarrées flottant follement au vent.
Les spectateurs, de l'autre côté
du pont, se pressaient de toutes parts sur au moins vingt rangs. Leurs acclamations
de joie montaient jusqu'aux cieux en signe de bienvenue. Isabelle portait des
robes écarlate et argent, ses cheveux d'or étaient retenus par un diadème serti
de bijoux et une mante de satin bordée de coûteuse fourrure réchauffait ses
épaules. Elle chevauchait un palefroi blanc comme neige. À sa droite se tenait
Édouard, vêtu d'un surcot écarlate et or sur une chemise d'un blanc aveuglant,
d'un manteau de parade, et arborant une couronne où s'enchâssaient des pierres
précieuses. Le roi montait Bayard, le noir et fougueux destrier de son père.
Les deux chevaux étaient parés de harnais d'un cuir brun-rouge luisant clouté
de joyaux. Des éperons d'or adornaient les talons des bottes d'Édouard ;
ceux d'Isabelle, d'argent massif, présent de la ville de Cantorbéry,
scintillaient sous le soleil hivernal.
Par la suite, on compara les
souverains à Arthur et Guenièvre entrant à Camelot. À juste titre, d'une
certaine façon, car, comme dans ce récit, l'histoire d'Édouard et d'Isabelle
s'acheva en tragédie, mais cela arriva plus tard, au bout de bien des années.
En ce matin de février, la cité entière était sortie pour recevoir son beau et
jeune roi et sa charmante épouse qui, sur son cheval, ressemblait à une reine
des fées, à une dame mythique des grands romans de chevalerie. Je brûlais
d'envie de voir ce Londres dont on m'avait tant parlé. Ce jour-là, je saisis le
mouvement d'une ville affairée et grouillante dans sa vigueur printanière,
malgré l'hiver, dont chaque quartier tentait de surpasser ses rivaux, la transformant
ainsi en un immense champ de foire.
Nous pénétrâmes dans la ville
proprement dite ; à droite s'élevaient les tourelles et le donjon élancé
de la Tour. Puis, prenant à gauche, nous traversâmes les rues en grande pompe
pour aller rendre grâces à Westminster. Nous passâmes devant de splendides
demeures, maisons des grands négociants dont la façade de plâtre rose et aux
poutres noires était décorée de tentures multicolores, de bannières
étincelantes et de superbes étendards. Juste au bout du pont, nous fîmes halte
devant une tour symbolique. Au sommet se tenait un géant, avec une hache dans
sa main droite en tant que champion de la ville, et, dans la gauche, en tant
que portier, les clés de la cité. Des hallebardes fichées au sommet de
l'édifice pendaient des draperies frappées aux armes d'Angleterre et de France.
Le géant les montra et se lança dans un hymne à la gloire de ses nouveaux
souverains.
Quelques instants plus tard, au
son des trompettes, cornes et clairons, nous remontâmes Cornhill entre des simulacres
de châteaux en bois couverts d'un tissu empesé peint à l'imitation du marbre
blanc et du jaspe vert. En haut du plus grand se dressait un lion d'argent,
sculpté avec un goût exquis. Il portait au cou un écu aux armes royales et
brandissait un sceptre d'une patte, une épée de l'autre. La route était
également bordée de magnifiques tentes qui, entrouvertes, laissaient voir des
portraits de saint Georges, saint Edmond et saint Édouard le Confesseur. Dans
d'autres pavillons de cérémonie des chœurs de jeunes garçons, en blanc et or
comme des anges, des rameaux de genêt et de laurier dans les cheveux,
chantaient avec ferveur Isabelle, regina Anglorum, Gloria, laus et honor — « A
Isabelle, reine d'Angleterre, gloire, louanges et honneur ».
Nous arrivâmes à Cheapside où le
vaste bâtiment qui couvrait la fontaine principale de Londres, alimentée par le
Grand Conduit, transformé en château féerique, abritait des jouvencelles en
habits d'or à la chevelure constellée de joyaux. Elles entonnèrent d'une belle
voix Gloriosa dicta sunt, Isabelle — « On rapporte des
faits glorieux à ton sujet, Isabelle ». Et les choses continuèrent ainsi
pendant que nous progressions dans cette large artère de Cheapside flanquée de
part et
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