Le calice des esprits
permettaient d'abaisser
pour bénéficier de davantage de lumière. Au rez-de-chaussée, parloirs,
resserres et cuisines, équipés du nécessaire et pourvus de tout le confort,
jouxtaient la salle.
Comme Sandewic en était fier, que
Dieu reçoive et absolve sa pauvre âme ! Il voulait que nous nous sentions
en sécurité et à l'aise. Sa chaude bienveillance m'alla droit au cœur. Je
pleurai un moment et m'isolai dans un parloir vide, car l'accueil cordial du
gardien me rappelait oncle Réginald et la tendre intimité dont il m'avait
entourée. Isabelle, elle aussi, après la fatigue de la parade royale, fut
heureuse de se trouver au Château. Elle ôta robes et bijoux, et se mit à courir
tout autour des chambres en riant et en battant des mains comme la joyeuse
jouvencelle qu'elle aurait dû être. C'était fort agréable d'être seules. Le roi
et Gaveston logeaient dans la Tour Wakefield, à côté, et, Dieu merci, les
Français étaient restés au palais royal de Westminster. On avait attribué des
chambres dans notre maison à Casales et à Rossaleti tandis que Baquelle, très
fier des merveilles que les Londoniens avaient mises en scène, était retourné
au grand Guildhall de Catte Street pour festoyer et fanfaronner avec les autres
échevins.
Ce mois de février fut une période
d'attente et de préparatifs pour le couronnement. Isabelle nous avait décrites
comme deux moineaux. À la réflexion, nous étions plutôt des éperviers, encore
jeunes et tendres, et la Tour devint notre nid assuré. Sandewic, bien sûr,
était à son affaire. Il adorait son fief, aussi, tous les matins, se
présentait-il au Château de la Tour avec une liste de petits maux qui me
faisaient sourire. Je traitais les ampoules avec du lys blanc, les rhumatismes
et son incessant catarrhe par de la népète ou herbe-aux-chats trempée, puis séchée
au four. En échange, il prenait plaisir à me montrer la Tour dans toute sa
gloire. Nous visitâmes la barbacane. Dans une longue rangée de cages
spécialement construites s'abritaient les bêtes sauvages offertes au roi
d'Angleterre par des souverains étrangers. Un animal, surtout, fascinait
Sandewic : un énorme ours brun qu'il appelait Wotan, une brute terrifiante
qui se dressait en griffant l'air. L'infecte puanteur fétide qui montait des
grands cuveaux contenant les pièces de viande nageant dans le sang destinées à
nourrir les animaux était intense. Sandewic était particulièrement content des
cages dont il avait en personne dirigé la construction afin que chaque bête
puisse se déplacer et bouger. Il fit remarquer que Wotan, tout comme lui, avait
des douleurs articulaires. Il entretenait sans nul doute un lien spécial avec
cet extraordinaire animal, allant même jusqu'à lui porter un panier de fruits
dans sa cage. À cette occasion, il enfilait une cape conçue à cet effet, faite
de morceaux de cuir bouilli cousus ensemble, qui lui servait de protection
contre cet ours à demi sauvage. Wotan se dirigeait vers lui en boitant et
l'attirait avec douceur en quémandant la nourriture que Sandewic finissait par
déposer sur le sol.
Mais la grande fierté du gardien
était la petite chapelle de St Peter ad Vincula sise dans un coin de la cour
intérieure. Elle était tombée en ruine et Sandewic l'avait restaurée sur ses
fonds propres. Il ne cessait de vanter ce qu'il nommait son petit bijou *.
À l'intérieur, l'édifice ressemblait à ceux construits avant le
Conquérant : c'était un bâtiment tout en longueur comme une grange, avec
des poutres enjambant l'étroite nef qui menait à un lumineux chœur en pierre au
jubé délicatement sculpté, et à un grand autel posé sur une estrade. Au-dessus
la lumière se déversait par un large oriel dont le vitrail dépeignait la
libération de saint Pierre de sa prison à Jérusalem. Les dalles étaient lisses
et régulières et les boiseries brun foncé luisaient. Des braseros réchauffaient
l'air et, à gauche du chœur, les maçons et les charpentiers avaient construit
une petite chapelle dédiée à la Madone dans laquelle une Vierge à l'Enfant
reproduisait le fameux tableau de Walsingham. Des tablettes d'encens posées sur
les braseros parfumaient l'endroit, qui offrait même des bancs étroits et des
prie-Dieu. On avait sablé, replâtré, chaulé les murs et on les avait presque
entièrement recouverts de fresques vives à la facture vigoureuse qui narraient
l'histoire de la Tour.
Mes souvenirs sont si frais :
la
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