Le Cercle du Phénix
Allez-y,
prouvez-nous vos dires.
Dolem prit le poignard et se leva. Cassandra se raidit ; que diantre
voulait-elle faire avec cette arme ? Elle ne tarda pas à le
découvrir : d’un geste rapide et assuré, Dolem s’enfonça la lame dans le
ventre jusqu’à la garde. Horrifiée, Cassandra étouffa un cri, mais déjà Dolem
retirait le poignard et le rendait à Angelia. Sa robe était déchirée et
quelques gouttes d’un liquide rougeâtre (était-ce vraiment du sang ?)
perlaient sur sa peau, là où la lame l’avait transpercée, et pourtant Dolem ne
semblait pas se ressentir de sa blessure.
Elle continuait à sourire, imperturbable.
— Etes-vous
convaincue ?
— Très
impressionnant, admit Angelia en observant le poignard effilé avec fascination.
Qu’en penses-tu, ma chérie ?
Sidérée, Cassandra avait perdu l’usage de la parole. Elle ne pouvait
accepter comme réel ce qui venait de se produire, et elle comprenait encore
moins que sa sœur adhère si facilement à une histoire aussi extravagante. Son
désir d’obtenir la pierre philosophale était-il donc si fort qu’elle en avait
perdu tout sens critique ? Un instant, elle se demanda si Dolem et Angelia
ne s’étaient pas alliées pour la piéger. Mais non, il ne pouvait y avoir de
trucage, Dolem s’était réellement poignardée sous leurs yeux.
Comme
Cassandra ne répondait pas, Angelia reporta son attention sur Dolem.
— Vous
disiez donc que vous vouliez nous aider à trouver la pierre de Cylenius ?
— Le
moment est venu de la révéler au grand jour, et le destin vous a désignées,
vous et votre sœur, pour accomplir cette tâche.
— Le
destin ? railla Cassandra à qui cette énormité avait rendu l’usage de la
parole.
— Parfaitement.
Ce n’est pas un hasard si vous et votre sœur êtes devenues les confidentes
privilégiées de Thomas Ferguson. Pas un hasard non plus que vous ayez si
facilement trouvé les Triangles dans les sanctuaires de l’Eau et du Feu. Vous
êtes les élues, et je suis venue vous guider vers le dernier sanctuaire.
— Alors
nous partons en voyage ? demanda joyeusement Angelia. Et où allons-nous ?
— Là
où tout a commencé. À Prague.
Chapitre XII
Les mains profondément enfoncées dans les poches de son manteau, Gabriel
arpentait depuis des jours les rues sans fin de Londres. Il marchait au hasard,
indifférent au tumulte environnant, à la foule qui battait le pavé, aux cabs et
fiacres qui filaient en tous sens sur la chaussée humide. Des enfants le
heurtaient à chaque instant, mais il n’en avait pas conscience. Il n’avait pas
de but à atteindre, nulle part où aller. Ses pensées tourbillonnaient dans le
vide. Il se sentait étranger au monde qui l’entourait, et Londres était pour
lui comme une cité inconnue.
Ses
pas le menèrent dans un petit square silencieux peuplé d’arbres nus et
squelettiques, et son attention fut soudain attirée par une vaste bâtisse à la
façade d’une blancheur immaculée, aux volets pimpants et aux stores baissés
devant laquelle il s’arrêta. Son pouls s’était accéléré. Il n’avait pas la
moindre idée de l’endroit où il se trouvait, mais ce bâtiment faisait remonter
à la surface de sa mémoire de pénibles souvenirs. Car c’était dans cette
maison, ou dans une autre très semblable, qu’on l’avait prostitué durant sept
ans.
Les
cicatrices qui marquaient ses poignets s’enflammèrent. Avec une brutalité
étourdissante, une image s’imposa à son esprit. L’image de son premier client,
un bourgeois arrogant qui l’avait possédé avec une brutalité empreinte de
sadisme.
Le
cœur au bord des lèvres, Gabriel se détourna du bâtiment. Pourtant, tout au
début, en comparaison de son ancienne vie où la misère constituait son pain
quotidien, cet endroit lui était apparu comme le paradis terrestre. Non pas
qu’on l’y ait traité avec bonté et gentillesse, mais du moins mangeait-il son
content et n’était-il pas molesté. Il avait très vite déchanté toutefois
lorsqu’il avait compris ce qu’on exigeait de lui en contrepartie. Son travail
avait largement payé les menus bienfaits dont il avait bénéficié. À cette
pensée, il se crispa comme si une lame chauffée à blanc s’enfonçait dans sa
chair et un spasme de dégoût le parcourut. C’était un miracle qu’il eût survécu
à toutes ces épreuves.
Puis
Charles Werner avait modifié le cours de son existence en l’extirpant de
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