Le Cercle du Phénix
vécu en marge de la société. La réadaptation ne sera pas
facile.
— Mon
Dieu, avait souri Julian, il y a tellement d’obstacles entre nous… La
différence de condition sociale, son passé criminel, ma propre histoire, sans
même parler du fait que nous soyons deux hommes. Alors, un de plus ou de moins…
Je sais que cela sera ardu, mais j’ai confiance. Nous réussirons.
Cassandra avait hoché la tête ;
oui, ils réussiraient, elle en était convaincue.
Un brusque soubresaut du train l’extirpa de ses pensées
et lui fit ouvrir les yeux. Elle croisa alors le regard de Jeremy qui lui
faisait face sur l’autre banquette du compartiment. Un changement visible
s’était opéré en lui depuis leur retour du dernier sanctuaire ; il était
plus grave, plus calme, plus mature. En vérité, il paraissait plus âgé, comme
s’il avait vieilli de quelques années en une journée.
Cassandra dévisageait le journaliste
avec curiosité.
— Ainsi,
vous ne vous êtes pas montré entièrement franc avec nous, M. Shaw. Lorsque
vous êtes venu chez moi pour la première fois, vous nous avez expliqué que vous
enquêtiez sur le Cercle du Phénix afin de favoriser votre carrière
journalistique ; vous rêviez de travailler au sein d’une rédaction
prestigieuse, et obtenir des révélations exclusives sur l’organisation
constituait à vos yeux le meilleur moyen de concrétiser cette ambition.
Peut-être était-ce partiellement vrai, mais en réalité c’est un motif beaucoup
plus impérieux que la reconnaissance professionnelle qui vous a poussé dans
cette aventure.
Cassandra s’interrompit, guettant une
réaction chez le journaliste, mais celui-ci préféra se passer de commentaires.
Il demeura silencieux, les yeux rivés à la vitre.
— Nous
avons mal interprété votre fièvre et votre acharnement à vouloir détruire le
Cercle, enchaîna-t-elle. Vous rappelez-vous le jour où vous et moi avons
surpris Gabriel dans ma chambre alors qu’il cherchait le carnet de Charles
Werner ? À un moment où vous me tourniez le dos, j’ai vu le reflet de
votre visage dans le miroir de ma coiffeuse…
Sa voix devint grave.
— Vos
traits exprimaient une haine si intense, si profonde, que je n’ai pu m’empêcher
de frissonner. Sur l’instant, je n’ai pas compris l’objet de cette rancœur,
mais votre attitude depuis le début de cette affaire, et notamment la répulsion
que vous inspirait Gabriel, aurait dû m’éclairer. Certes, l’animosité que vous
manifestiez à son encontre pouvait sembler compréhensible : après tout,
Gabriel a commis des crimes impardonnables. Elle se nourrissait toutefois
d’émotions plus intimes, puisque vous aviez eu personnellement à souffrir de
ses méfaits. J’ai manqué de clairvoyance, la conclusion aurait dû s’imposer
d’elle-même à mon esprit. Le but que vous poursuiviez en réalité était la
vengeance…
Jeremy tourna le visage vers elle. Son
regard était voilé.
— En
effet. Comme il vous l’a expliqué, Gabriel a assassiné mon père il y a deux
ans.
Sa voix tremblait légèrement lorsqu’il
ajouta :
— Mon
père était l’inspecteur Albert Matthews, de la police métropolitaine. Durant
des années, il a enquêté sur le Cercle du Phénix, rassemblant sans relâche
preuves et pièces à conviction. Il est même parvenu à remonter jusqu’à Charles
Werner en personne. Se doutait-il alors que ce dernier servait de paravent au
véritable chef de l’organisation ? Cela, je ne le saurai jamais. Peu
importe du reste…
Cassandra hocha la tête.
— Je
comprends mieux pourquoi vous étiez si bien renseigné sur le Cercle. Votre
connaissance de l’implication de Werner dans l’affaire était déjà très
surprenante en soi.
— Mais
mon père a payé très cher son acharnement. Il a reçu des menaces, le Cercle a
essayé de faire pression sur lui. Il estimait qu’il pouvait se défendre seul,
mais il ne voulait pas mettre ma vie en danger ; c’est pourquoi il m’a
envoyé me cacher à Manchester, chez des amis à lui. C’est d’ailleurs là-bas que
j’ai commencé ma carrière de journaliste, au Manchester Guardian. Mon père est venu me rendre visite en secret quelques
semaines avant sa mort, et m’a confié une enveloppe que je ne devais ouvrir que
s’il lui arrivait malheur. Ses propos m’ont inquiété, bien sûr, et j’ai tenté
d’en apprendre davantage, mais il s’est refusé à m’en dire plus. Il
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