Le Cercle du Phénix
vertu dans le milieu de
la criminalité. C’était pour ces qualités que lui, Charles Werner, l’avait
choisi afin qu’il devienne l’exécutant des basses œuvres de l’organisation. Du
coup, l’échec du tueur lui paraissait de mauvais augure pour la suite. Comme si
la machine bien huilée s’était soudainement grippée, qu’un caillou venait
sournoisement de se glisser dans le brillant mécanisme.
Surtout… surtout… le garçon, à son retour de sa
mystérieuse escapade, lui avait paru changé, à la fois plus distant et moins
froid. Une imperceptible transformation s’était opérée en lui. Quelque chose
d’indéfinissable, ce qui n’avait pas empêché Werner de comprendre au premier
coup d’œil qu’un événement insolite s’était produit, sans pouvoir toutefois en
deviner la nature exacte. Et il n’aimait pas ça, non, il n’aimait pas ça du
tout.
Un mauvais pressentiment concernant toute cette affaire
l’envahit, et il dut faire un terrible effort de volonté pour conserver une
apparence de calme aux yeux de sa femme et de ses filles.
Un coup frappé à la porte lui permit opportunément de
s’extraire de ses réflexions. Wilson, le majordome, entra.
— Un
message pour vous, Monsieur. Un garçon de course vient de l’amener.
Charles décacheta l’enveloppe et déplia le papier. Il
reconnut aussitôt l’écriture familière dont le tracé nerveux et fleuri
témoignait d’un caractère irascible.
Il devait y avoir du nouveau.
— Un
problème à la banque, annonça Werner en se levant. Je dois y aller. Wilson,
faites préparer la voiture, je vous prie.
— Si
tard ? s’étonna Emily. La nuit est déjà tombée, ce n’est guère prudent.
Vous travaillez beaucoup trop, mon ami.
Charles sourit et se pencha vers elle pour l’embrasser.
— Hélas,
ma chère, certains devoirs m’appellent. Je ne puis m’y soustraire.
Il embrassa également ses filles.
— Je
ne pense pas m’absenter très longtemps. À tout à l’heure.
Dans le vestibule, Charles enfila son manteau et mit son
haut-de-forme. Tenant toujours le message à la main, il s’approcha d’une bougie
posée sur le guéridon de l’entrée et offrit le papier en pâture à la flamme qui
commença à le dévorer. La feuille se tordit puis se consuma avec rapidité entre
les doigts de Werner, mais il ne la lâcha que lorsqu’elle fut presque
complètement en cendres.
Ce devoir accompli, il sortit.
Chapitre X
Les préparatifs de départ mettaient le manoir Jamiston
en effervescence. En proie à une soudaine fébrilité, chacun s’affairait à la
préparation de ses bagages, tâche singulièrement délicate puisque personne ne
pouvait préjuger de la durée du déplacement en Ecosse.
À la grande fureur de Megan, la question s’était posée
de savoir si celle-ci devait ou non se joindre au voyage. L’entreprise
s’avérerait peut-être dangereuse, mais laisser la jeune fille seule à Londres à
la merci de l’ennemi n’était guère plus rassurant. Aussi s’étaient-ils décidés
à l’emmener ; près d’eux, elle serait relativement en sécurité. La veille
de leur départ pour Édimbourg, Cassandra décida de rendre une nouvelle visite à
Dolem dans l’espoir qu’elle lui prodigue des informations utiles, Julian ayant
insisté pour l’accompagner et rencontrer à son tour la voyante, ils se
présentèrent tous deux à son domicile de Berkeley Square en début d’après-midi.
Comme la première fois, ce fut la servante spectrale qui ouvrit la porte. Ne
paraissant nullement surprise par leur venue, elle se contenta de les inviter
d’une voix gutturale à la suivre à l’étage et les introduisit dans une vaste
bibliothèque dont trois murs entiers étaient couverts de rayonnages jusqu’au
plafond. Cinq fenêtres, longues et étroites, donnaient sur le jardin à
l’arrière ; les rideaux de mousseline noire qui les obstruaient
partiellement maintenaient la pièce dans une délicate pénombre qui semblait
avoir été étudiée pour être en harmonie avec la personnalité de la maîtresse
des lieux.
— Madame
consulte en ce moment, leur apprit la domestique sans se départir de son air
revêche. Veuillez attendre ici qu’elle vous rejoigne.
Elle disparut dans le, couloir et la porte se referma
silencieusement derrière elle.
— Charmante,
commenta Julian, un sourire amusé aux lèvres, tandis que Cassandra portait son
attention sur les toiles ornant le dernier mur
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