Le Cercle du Phénix

libre.
    Là, entre les fenêtres, étaient exposés plusieurs
tableaux et estampes signés Rembrandt, Durer, Van Eyck et Jérôme Bosch.
Cassandra reconnut au premier coup d’œil le style fantastique et l’univers
infernal propres à ce dernier, et c’est avec une excitation fiévreuse qu’elle
se pencha sur le triptyque du Jardin des délices terrestres qui
occupait la place d’honneur au centre du mur.
    De son côté, Julian déambulait devant les multiples
étagères qui gémissaient sous le poids des livres, scrutant avec intérêt les
reliures ouvragées et s’arrêtant parfois pour feuilleter religieusement un
recueil aux pages jaunies par le temps.
    —  Extraordinaire,
souffla-t-il à l’issue d’un quart d’heure d’examen. La première traduction,
datée de 1140, de la Tabula Smaragdina par Hugues de Santalla, La
Somme de Perfection de Geber, la Turba philosophorum ,
le Mutus Liber, De Secretis
Naturae d’Albert le Grand, l’Opus Manus de Roger Bacon, les Figures d’Abraham le Juif commentées par Nicolas Flamel, les Douze
Clefs de philosophie de Basile Valentin, Le
Sentier chymique de Paracelse… Des éditions originales pour la plupart,
datant de plusieurs siècles… C’est prodigieux, l’intégralité de la littérature
alchimique semble être réunie dans cette pièce…
    —  C’est
le cas, lança une voix profonde derrière lui.
    Julian et Cassandra sursautèrent. Sans le moindre bruit, Dolem
était entrée dans la bibliothèque et les jaugeait de son pâle regard.
    —  Plus
de vingt-deux mille ouvrages relatifs à l’alchimie ont été rédigés depuis la
naissance de l’humanité. Ces écrits, issus de tous les âges et de tous les
pays, se trouvent sous vos yeux, à commencer bien sûr par les travaux des
Adeptes reconnus tels qu’Albert le Grand, Basile Valentin ou Paracelse. La
collection que renferme cette pièce n’a pas de prix ; j’ai consacré des
années à la rassembler… et à la lire.
    —  Une
vie entière n’y suffirait pas ! s’exclama Julian involontairement,
transgressant pour une fois les règles de la politesse. Vous ne pouvez avoir lu
tous ces ouvrages…
    —  Tout
dépend de ce que l’on entend par « vie », répliqua Dolem avec un
sourire mystérieux. Je suppose que vous êtes Lord Julian Ashcroft ?
    —  C’est
exact, répondit-il, doublement étonné par sa réponse énigmatique et le fait
qu’elle connaisse son nom. Comment…
    Par-dessus l’épaule de Dolem, Julian croisa le regard de
Cassandra qui haussa légèrement les épaules, l’air blasé. Le lord ravala la
question qui lui brûlait les lèvres.
    Sans prendre garde à sa surprise, la voyante poursuivit
son exposé.
    —  L’ensemble
des traités de science hermétique jamais produits par l’Homme sont réunis ici, mais
l’alchimie a également exercé une influence sur la littérature au sens large,
et en particulier sur les contes et les romans.
    Dans un doux bruissement de dentelle noire, elle se
dirigea vers le fond de la bibliothèque. Sa démarche, d’une légèreté quasi
surnaturelle, donnait l’impression qu’elle flottait dans les airs. Fascinés,
Julian et Cassandra la suivirent docilement.
    De ses longs doigts fins, Dolem leur désigna plusieurs
rangées de livres.
    — Le Livre des Mille et Une nuits, Pantagruel et Gargantua de Rabelais, Le Roman de la Rose, La Divine comédie de Dante,  l’Histoire comique des Etats et empires du soleil de Cyrano de Bergerac, Faust de Goethe, Notre-Dame de Paris de Victor Hugo, La Recherche de l’absolu, L’Élixir de longue vie et Seraphita d’Honoré de Balzac, toutes
ces œuvres, truffées d’allégories hermétiques, sont inspirées par l’alchimie,
et ce ne sont que quelques exemples parmi d’autres. L’alchimie a exercé une
influence tout aussi remarquable sur l’art, ajouta Dolem en se tournant vers
Cassandra, comme en témoignent les tableaux qui décorent cette pièce.
    D’un geste éthéré, elle pointa le doigt vers le mur
opposé et les toiles qui y étaient suspendues.
    —  Van
Eyck, Rembrandt, Durer et Jérôme Bosch étaient proches des milieux alchimiques de
leur temps, et leurs peintures comportent de nombreuses références au Grand
Œuvre. Lorsque je suis arrivée, Miss Jamiston, vous étiez plongée dans la
contemplation du triptyque du Jardin des délices terrestres. Saviez-vous que cette œuvre fabuleuse regorge d’allusions au monde de
l’alchimie ? On peut y voir des licornes