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Le Cercle du Phénix

Le Cercle du Phénix

Titel: Le Cercle du Phénix Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Carolyn Grey
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en cette fin d’après-midi. Il venait
de rendre visite au comte de Yarsfield, un vieil ami de son père, et le
souvenir cuisant de cette rencontre l’obsédait. Lord Yarsfield, comme à son
habitude, avait fait montre d’une extrême courtoisie à son égard, mais derrière
la politesse exacerbée des propos, Julian avait nettement senti une pointe de
mépris mêlée de désapprobation. Le comte de Yarsfield devait bien entendu être
au courant pour Aerith. Toute la haute société londonienne l’était. Cinq ans
plus tôt, le scandale avait été étouffé du mieux possible, et pourtant la
rumeur s’était répandue comme une traînée de poudre, donnant naissance à
d’innombrables ragots qui rivalisaient d’abjection. Julian n’avait alors eu
d’autre solution que de fuir pour échapper au poids de cette flétrissure et à
la douleur de la trahison. Il était parti s’installer dans le Devon avec sa
fille Laura, et avait rompu les liens avec la plupart de ses anciennes
connaissances. On disait que le temps refermait les blessures, que les
souvenirs se diluaient au rythme des
saisons. Sottises que tout cela. Seuls des individus n’ayant jamais connu de
véritable souffrance pouvaient proférer de telles insanités.
    La vacuité de ses efforts arracha un soupir amer à
Julian : après tout ce temps, son passé l’emplissait encore de regrets.
Jamais il ne pourrait échapper au carcan d’infamie dans lequel sa femme l’avait
emprisonné voilà cinq ans. Il était condamné au déshonneur à perpétuité.
    Julian fit une tentative désespérée pour chasser ces
idées noires et se concentrer sur un sujet moins pénible. Ses pensées volèrent
donc naturellement vers le Triangle d’argent qu’ils avaient ramené de leur périple
en Ecosse. Sur ce Triangle était gravé une sirène, symbole de l’eau, certes,
mais également emblème des natures Soufre et Mercure unies et pacifiées. La
boîte d’émeraude contenait en outre un parchemin crypté de quatre pages que
Julian avait entrepris de décoder, mais la tâche promettait d’être ardue.
    En dépit de ses réticences initiales, Julian devait bien
admettre qu’il s’était pris au jeu. Cette aventure se révélait très excitante
et rompait avec la vie monotone de reclus volontaire qu’il menait habituellement.
Il est vrai que Cassandra était une femme pleine de surprises dont la compagnie
éloignait la morosité. Julian sourit en se remémorant leur première rencontre,
alors qu’elle cambriolait son château du Devon quelques mois après son
installation dans la région. Il aurait sans doute dû la livrer à la police à
l’époque, mais elle était si jeune que le cœur lui avait manqué. Avec le recul,
il se félicitait de sa décision puisqu’elle était devenue une amie fidèle, et
l’une des rares personnes qu’il pouvait fréquenter sans crainte de se voir
reprocher ses erreurs passées. Et pourtant, jamais Julian n’aurait frayé avec
une femme telle que Cassandra avant son mariage : son passé trouble, son
indépendance d’esprit, son mépris des conventions l’auraient exclue d’office de
sa société. Jusqu’au jour où la douleur et la honte avaient bouleversé toutes
ses perspectives et modifié radicalement sa façon de juger autrui.
    La voiture passa près de la colonne de Nelson, à
Trafalgar Square, autour de laquelle était massé un attroupement de badauds.
Julian prêta alors enfin attention à ce qui se passait au-dehors.
    Le cocher se dirigeait à présent vers l’est par le
Strand, avenue bordée de magasins de luxe dont les vitrines à petits carreaux
réfléchissaient le pâle soleil de novembre. La circulation était intense :
haquets, charrettes, bannes de charbon, omnibus aux couleurs pimpantes,
fiacres, cabs, chevaux de selle, et, de temps à autre, un majestueux carrosse,
roulaient avec fracas sur les pavés dans un flot ininterrompu. La plupart des
promeneurs étaient ici bien mis. Si les femmes rivalisaient d’élégance avec
leurs crinolines à falbalas et leurs mantelets ouvragés, les hommes étaient
toutefois plus nombreux, et les hauts-de-forme vêtus de soie noire, polis et
brillants comme des sabres, produisaient dans la foule un curieux motif
vertical indéfiniment répété.
    Le porche à colonnes de l’Adelphi Theatre, la devanture
du célèbre restaurant Simpson’s, la façade majestueuse de
King’s College, se succédaient derrière les vitres. Avec un pincement au cœur,
Julian

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