Le Cercle du Phénix
à
commencer par les rares meubles bancals, et aucun objet intime ne venait
réchauffer les lieux. C’était là l’antre d’un individu dépourvu de toute
attache, pire, de tout sentiment. Julian en conçut une profonde tristesse.
L’occupant de cette chambre, et il ne doutait pas que ce fût le jeune homme aux
cheveux blancs, lui inspirait une peine sincère.
Il s’arracha à sa contemplation et s’approcha de la
commode. Horrifié par sa conduite, et en même temps tout à fait incapable de
résister à la tentation, il ouvrit les tiroirs un à un. Si les deux premiers ne
renfermaient que quelques vêtements, le contenu du troisième se révéla plus
insolite. Julian y découvrit en effet une impressionnante collection de plans
et de cartes qui s’empilaient jusqu’à ras bord. Des plans de Londres, de ses quartiers,
de sa banlieue, des plans de chacune des grandes villes du pays, des cartes
d’Angleterre, d’Ecosse, des Highlands, des plans dessinés à la main indiquant
la disposition des pièces dans des maisons, des manoirs, des châteaux, il y en
avait des centaines, jetés en vrac dans ce tiroir. Intrigué, Julian fourragea
dans la masse de papiers et ne tarda pas à avoir entre les mains plusieurs
feuillets reproduisant l’agencement d’une demeure qui lui était
familière : le manoir de Cassandra, décrit étage par étage, pièce par
pièce…
Sans réfléchir, il glissa les plans du manoir dans sa
poche et referma fébrilement le tiroir. Il hésita une minute sur le pas de la
porte, puis quitta la pièce et dévala les escaliers. Une fois dans la rue, il
poussa un soupir de soulagement : la tension qui l’habitait était retombée
d’un coup, même si le trouble persistait dans son cœur. D’un pas plus assuré,
il se dirigea vers sa voiture.
Soudain, Julian se figea, les yeux écarquillés de
stupeur, incapable de croire ce qu’il voyait. Son cœur s’affola de nouveau,
cognant sourdement dans sa poitrine dont il semblait vouloir s’extraire.
Sur le trottoir, à quelques mètres devant lui, marchait
d’un pas souple et rapide l’assassin du Cercle du Phénix, enveloppé d’une cape
noire bordée de fourrure.
Julian se faufila à travers la cohue en jouant des
coudes pour progresser dans Bread Street tout en s’efforçant de ne pas perdre
de vue le jeune homme, tâche rendue aisée par sa haute stature. Avec la tombée
du soir, l’obscurité envahissait les rues, et les passants se hâtaient de
regagner leur foyer.
La raison du lord lui conseillait de s’éloigner au plus
vite du garçon aux cheveux blancs, mais son corps se refusait à obéir. À dire
vrai, il le suivait presque contre sa volonté, comme hypnotisé, et c’était
plutôt effrayant.
L’ange de la mort ne s’était pas rendu compte que Julian
l’avait pris en chasse. Il poursuivait calmement son chemin, l’air indifférent
à ce qui l’entourait. Il s’arrêta toutefois à plusieurs reprises pour consulter
un plan qu’il tenait à la main et jeter des regards perplexes autour de lui
comme un homme prisonnier d’un labyrinthe.
Ils remontèrent ainsi Bread Street puis bifurquèrent
dans une ruelle adjacente. Le jeune homme s’arrêta alors sous le porche d’une
maison que rien ne distinguait de ses voisines et y entra sans frapper.
Julian hésita. Pénétrer dans la maison à la suite de
l’assassin serait pure folie, mais là encore il ne put se contrôler. Maudissant
sa faiblesse, il poussa le plus doucement possible la porte et se glissa dans
un vestibule sombre et poussiéreux où il s’immobilisa, l’oreille aux aguets et
la respiration suspendue. Des éclats de voix lui parvinrent du fond du
couloir ; il se dirigea à pas feutrés dans cette direction et atteignit un
escalier de pierre qu’il descendit prudemment, essayant de ne pas penser au
danger qui l’attendait au sous-sol.
Au bas des marches se dressait une porte entrouverte qui
laissait filtrer un large rai de lumière vertical. Après une nouvelle mais
brève hésitation, Julian se décida à jeter un coup d’œil dans la pièce qu’elle
protégeait.
L’assassin du Cercle du Phénix était là.
Près de lui se tenait un homme de grande taille, pourvu
d’un visage osseux, de cheveux grisonnants, et engoncé dans une longue
redingote noire sévèrement boutonnée jusqu’au menton. Un homme que Julian
n’avait jamais vu auparavant.
— Tu
as une demi-heure de retard alors que tu habites à trois minutes
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