Le Cercle du Phénix
illuminée par un feu vif, baignait dans une douce
tiédeur. Au-dehors cependant, le vent hurlait en rafales déchaînées qui
trouvaient un écho dans le cœur de Julian.
Celui-ci fit un pas vers le jeune homme qui esquissa un
infime mouvement de recul.
— N’aie
pas peur…, chuchota-t-il d’une voix rauque, alors que lui-même était terrifié
par la violence de ses propres sentiments.
Pendant un très long moment, ils restèrent debout l’un
en face de l’autre, le cœur frémissant. Puis Julian lendit les bras vers le
garçon aux cheveux argentés et le serra contre lui avant de poser ses lèvres
sur les siennes.
*
Julian se réveilla bien avant l’aube, le visage caressé
par de pâles rayons de lune émanant de la lucarne poussiéreuse. Blotti dans ses
bras, le garçon dormait paisiblement. Julian sentait son souffle sur sa peau,
et cette simple sensation lui procurait un merveilleux sentiment de bien-être.
Le tumulte intérieur qui l’agitait depuis des semaines s’était tu, balayé par
une immense vague de soulagement. Il se sentait en parfaite harmonie avec
lui-même, complètement apaisé car il avait enfin donné libre cours au désir qui
bouillonnait dans ses veines, à la passion qui menaçait de le faire basculer
dans la folie. Il avait traversé ces derniers jours dans un état second ;
à présent, il avait recouvré ses esprits et envisageait sa situation avec une
parfaite lucidité.
Sa main glissa le long du dos du garçon, caressa avec
délice sa peau humide et satinée, ses muscles fins. Celui-ci remua légèrement
contre sa poitrine, et Julian baissa la tête. Leurs yeux se rencontrèrent et ne
se lâchèrent plus.
— Quel
est ton nom ? chuchota Julian.
Le garçon se saisit doucement de sa main gauche. Avec
son index, il se mit à former des lettres sur sa paume.
— O…
u… b…, lut Julian. « Oublié » ? Vraiment ?
Il plongea de nouveau son regard dans le sien, cherchant
à mettre à jour ses pensées les plus intimes. Disait-il la vérité ? Ne se
rappelait-il réellement pas son nom ? Ou bien cet « oubli »
devait-il être interprété comme une volonté de la part du jeune homme de rompre
avec son passé criminel et de débuter une nouvelle vie ?
— Je
vois…, finit-il par murmurer d’un ton pensif en caressant les cheveux d’argent.
Mais il est nécessaire que tu aies au moins un prénom. Nous allons t’en choisir
un ensemble si tu le veux bien.
Le jeune homme leva vers lui des yeux interrogateurs.
— Que
dirais-tu de… William ?
Cette proposition ne souleva pas un enthousiasme
débordant chez le garçon.
— Non ?
Très bien.
Julian commença à énumérer tous les prénoms qui lui
traversaient l’esprit.
— Benjamin, Mark, Michael, Edward, Thomas, Peter…
Il ne se rappelait pas avoir jamais vécu une situation
aussi insolite, mais ce n’était pas pour lui déplaire.
— John,
James, Harry… Non, ça ne va pas…
Une illumination subite le traversa.
— Gabriel !
Pourquoi ce prénom en particulier, il l’ignorait. Il
avait juste la certitude qu’il ne pourrait en trouver de plus approprié.
— Gabriel,
cela te plaît-il ?
Le jeune homme acquiesça, et une ébauche de sourire
éclaira son visage d’ange. Ému, Julian referma ses bras autour de lui.
*
La pluie d’automne martelait avec un crépitement sourd
et entêtant les hautes fenêtres du cabinet de travail de Charles Werner. Assis
près de la cheminée de marbre, un verre de brandy à la main, celui-ci
contemplait d’un œil terne le chatoiement couleur topaze de la boisson dans les
reflets du feu.
Emily et les filles étaient montées se coucher depuis
plus d’une heure déjà, et la maison était maintenant plongée dans le silence
nocturne. En temps normal, Werner savourait en connaisseur ce calme qui rendait
ses soucis moins pesants. Mais aujourd’hui, rien ne pouvait le distraire de sa
morosité. Il ne parvenait tout simplement pas à se remettre du choc terrible
qui l’avait frappé de plein fouet.
L’assassin était parti.
Aussi incroyable que cela pût paraître, cet être dénué
de toute émotion, ce garçon que rien ni personne ne semblait avoir la faculté
de rendre heureux, avait déserté le navire.
Werner but son verre cul sec.
Pire encore, il avait volé l’antidote avant de s’en aller.
Son départ était donc motivé par le désir de sauver cet homme, ce Lord
Ashcroft.
Cette pensée lui vrillait
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