Le Cercle du Phénix
chose étrange, il ne semblait guère pressé
d’agir.
Au cours d’un de ces après-midi pluvieux qui s’étiraient
interminablement, ils étaient réunis dans le grand salon, à l’exception de
Nicholas qui profitait de son séjour londonien pour régler quelques affaires
professionnelles en ville. Tous essayaient de s’occuper l’esprit, mais les
nerfs étaient à vif et on sentait que la tension ne demandait qu’à exploser.
Jeremy, qui avait repris le travail au London City News , peinait depuis des heures à rédiger un article,
incapable qu’il était de se concentrer dessus plus de quelques minutes
d’affilée.
— Cette
attente est insupportable ! gronda-t-il en déchirant d’un geste rageur la
feuille noircie par sa gigantesque écriture. Combien de temps encore
devrons-nous attendre bêtement ici ? Je crois que je vais devenir
fou !
Andrew leva la tête du dossier médical qu’il était en
train d’étudier.
— Nous
n’avons d’autre choix que de nous montrer patients.
— Facile
à dire ! maugréa Jeremy en torturant sa plume.
— Nous
avons deux Triangles en notre possession, ajouta Andrew pour l’apaiser. Tôt ou
tard, le Cercle du Phénix devra se manifester pour les récupérer.
— Le
plus tôt sera le mieux si vous voulez mon avis !
À l’autre bout de la pièce, Cassandra, indifférente à la
conversation, observait discrètement Julian qui, l’esprit ailleurs, faisait
semblant d’étudier le parchemin de Cylenius. Comme les autres, il paraissait
nerveux et agité, mais la jeune femme avait l’intuition que son trouble n’était
pas motivé par les mêmes raisons. C’était stupide, bien entendu, mais elle ne
pouvait s’empêcher de penser que l’étrange conduite de Julian était liée à la
présence de l’assassin dans le manoir. Il était si froid, si raisonnable
d’habitude… Elle avait la conviction qu’il dissimulait un secret. Pourquoi par
exemple avait-il insisté pour que la porte de la tour soit gardée par ses
propres domestiques, ceux qui l’avaient accompagné au manoir Jamiston, plutôt
que par les serviteurs de Cassandra ?
Et l’attitude du garçon n’était pas moins bizarre,
puisqu’il n’acceptait de se nourrir qu’à la condition que ce soit Julian en
personne qui lui apporte ses repas…
Que se passait-il donc ?
Cassandra avait un mauvais pressentiment.
*
La porte en chêne massif de la tour paraissait
singulièrement menaçante à la lueur blafarde de la lampe à gaz du couloir qui
grésillait en produisant des chuintements furieux. La main sur la poignée,
Julian tergiversait depuis une éternité. Ce qu’il s’apprêtait à faire relevait
de la pure démence. Il suffisait pour s’en convaincre d’évoquer le regard
perplexe dont son domestique l’avait gratifié quand il avait exprimé le souhait
de voir à nouveau le prisonnier seul à seul, en pleine nuit de surcroît.
— Je
dois lui parler, et cela risque de durer un certain temps, avait-il expliqué.
Ne vous inquiétez pas, il est inutile d’intervenir. Contentez-vous de fermer à
clé derrière moi.
Le domestique avait obtempéré sans protester,
verrouillant la première porte après le passage de Julian, et lui confiant la
deuxième clé. Et à présent, il se trouvait au sommet de l’escalier, sur le
point de prendre l’une des décisions les plus cruciales de sa vie :
devait-il ou non pénétrer dans cette pièce ?
C’était de la folie, il le savait. Mais il savait
également qu’il ne pouvait pas reculer. Ce garçon avait ranimé en lui des
souvenirs anciens, réveillé des émotions qu’il avait cru ensevelies à jamais.
Dès l’instant où il l’avait vu pour la première fois, il avait su que cela se
terminerait ainsi. Oh, bien sûr, il avait mis du temps à le reconnaître, mais
maintenant, tout était très clair, lumineux même. Le courant qui l’entraînait
était plus fort que sa volonté, et le dénouement inéluctable.
Julian tremblait tellement qu’il eut du mal à introduire
la clé dans la serrure. Lorsqu’il poussa enfin le battant, le garçon aux
cheveux blancs était posté près de la fenêtre d’où il contemplait le ciel
obscur. Il se retourna à son entrée. On aurait dit qu’il s’attendait à sa
visite, car il ne manifesta aucun signe de surprise en le voyant, mais parut en
revanche légèrement effrayé.
Graves et silencieux, les deux hommes se regardèrent
intensément. La mansarde,
Weitere Kostenlose Bücher