Le Chant des sorcières tome 1
qu'à cela. C'était devenu son obsession. Tous les soirs, lorsque la nuit tombait sur les lices, marquant la fin de son entraînement, il passait chez le forgeron pour voir s'affiner la lame de son braquemart. SA lame. Jamais il n'aurait pensé en posséder une. De fait, il s'avérait doué. Très. Le sire Dumas, qui passait souvent pour valider ses progrès, le lui avait répété à plusieurs reprises.
Même son père en était convenu après l'avoir vu jouter contre une quintaine. A regret certes, mais tout de même. Mathieu aurait voulu qu'Algonde partage leur enthousiasme. Décidément, il la comprenait de moins en moins. Elle avait changé en quelques semaines. A moins que ce ne soit lui. Il ne trouvait pas la réponse à ce mystère et il était bien trop à son nouveau métier pour avoir envie de la chercher. Les événements s'étaient précipités, les avaient arrachés à l'enfance d'un coup. La cause était là sans doute. Ils s'entendaient toujours bien et s'aimaient plus qu'il ne fallait pour faire un heureux ménage, c'était tout ce qui importait. Le reste, elle finirait par s'en accommoder. D'autant qu'il était heureux comme il l'avait rarement été.
Et plus encore ce jourd'hui où le sire Dumas venait de lui signifier qu'au vu de ses capacités, il serait fin prêt à intégrer son escouade au moment du départ pour la Bâtie. Le baron, qui était venu lui aussi pour en juger, l'avait félicité, ajoutant même que le tempérament d'Algonde n'aurait pu se satisfaire d'un freluquet et qu'il était bien aise de le voir ainsi transformé.
Certes, pendant un moment, Mathieu s'était assombri, se demandant ce que Jacques de Sassenage pouvait connaître du tempérament de sa promise, mais sa confiance en elle était telle qu'il avait rejeté ce soupçon. Algonde ne lui avait-elle pas assuré que le baron n'avait pas seulement posé les yeux sur elle ? Trop candide, trop éprise de lui aussi, elle ne s'était visiblement pas aperçue qu'il la trouvait à son goût. Cela avait dû suffire pour que Sa Seigneurie, répugnant à la forcer, chasse en d'autres terres. Et c'était tant mieux, car il n'aurait pas supporté qu'un autre la touche, fût-il le roi de France en personne ! Oui, gare à celui qui jetterait un œil concupiscent sur elle. Il ne la partagerait pas. Jamais. Et cette dague qui tournoyait à son poignet avec agilité saurait faire entendre raison au plus tenace. Il en riait de certitude, seul au milieu des ballots de paille détrempés qui puaient la moisissure. Quelques rats y avaient élu domicile. Lorsqu'il en voyait un traverser le champ clos, il se lançait à sa poursuite comme sur un ennemi. Souvent, le rongeur lui échappait, mais quand il l'empalait d'une pique, Mathieu se pavanait comme un coq sur un tas de fumier. Son métier ressemblait à un jeu. Si proche de ceux qu'ils pratiquaient, Enguerrand et lui, qu'il savourait sa chance et demeurait persuadé qu'elle ne le quitterait jamais.
Le front dégoulinant de sueur, les jambes écartées et fléchies, il renversa la tête en arrière et bomba le torse pour inspirer profondément. Bien qu'épuisé par l'effort qu'il avait fourni depuis le matin, il avait refusé deux heures plus tôt de rentrer avec les autres. Il voulait juger de ses propres limites, renforcer son endurance. Espérant ambitieusement devenir le meilleur d'entre eux.
Il écarta les doigts et la lame tomba dans l'herbe.
Il ouvrit ses bras encore et encore jusqu'à sentir ses muscles durcis par l'effort emprisonner sa colonne vertébrale de chaque côté. Le soleil en point de mire lui fit cligner des yeux. Il s'efforça un instant de soutenir la luminosité, le rire aux lèvres, puis, n'y tenant plus, ferma les paupières. Il était bien. Ce tantôt il déclarait forfait. Quelques minutes à s'étirer comme on le lui avait appris et il piquerait une tête dans la rivière, là, où Algonde et lui avaient beliné pour la première fois. Leur endroit. Il aimait sa peau, il aimait son souffle, la douceur de ce nid entre ses cuisses offertes. Il aimait, même seul, se coucher au milieu des rochers et s'en souvenir jusqu'à en jouir. Il éclata d'un rire insouciant en sentant son vit se dresser, à cette seule évocation.
C'était si bon ! Oui. Si bon de se sentir puissamment vivant.
Refusant de s'asseoir à même la rive bourbeuse, Philippine grimpa sur un petit rocher qui affleurait l'onde, suffisamment en amont du cratère pour ne pas risquer d'être
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