Le Chant des sorcières tome 1
t'ai sauvée de la noyade.
Au tressaillement des doigts dans les siens, Algonde comprit que l'argument avait suffi à expliquer sa connivence avec la fée et tout autant à rassurer la jouvencelle. Elle s'en trouva soulagée. Visiblement, Mélusine ne souhaitait pas évoquer son rôle dans la prophétie. Déjà elle se tournait vers Philippine.
— Ainsi donc, c'est pour toi que l'on a brisé les scellés de ma chambre.
— Je n'en suis pas responsable, bredouilla Philippine, mal à l'aise.
Le rire cristallin jaillit comme une eau de source, faisant sursauter la jeune baronne.
— Diable, je le sais bien ! Et ne t'en veux pas, mon enfant. Au contraire.
— Alors qu'attendez-vous de moi ? demanda Philippine, toujours sur la défensive.
— Rien. Ou plutôt si. Je voulais que tu t'endormes chaque soir en sachant que je n'étais pas qu'une légende. Ce lieu a compté pour moi. Il me fut heureux. Infiniment. Je ne voulais pas qu'il te devienne ordinaire. J'espérais depuis longtemps qu'il revive, qu'un Sassenage ose briser l'anathème de mon époux. Je me sens libérée depuis que c'est fait. Et ma foi, satisfaite d'avoir été bien inspirée de repêcher cette écervelée. Car c'est toi, Algonde, qui as tout rénové, n'est-ce pas ?
— En effet, répondit celle-ci, peu convaincue par les arguments de la fée.
Elle la connaissait trop à présent pour savoir que ce verbiage n'était qu'un moyen d'endormir la méfiance de Philippine et d'arriver à ses fins véritables. Restait à savoir lesquelles. Algonde n'avait aucune crainte, cela viendrait. Pour preuve déjà, la fée enchaînait, doucereuse et un rien pathétique comme elle aimait à se présenter. Fourbe, pensa Algonde, tandis que Mélusine susurrait dans le ronronnement du torrent :
— Aurais-tu arrangé cet endroit de même si nous ne nous étions pas rencontrées ?
— Sans doute que non, consentit Algonde.
La fée se tourna de nouveau vers Philippine.
— Comprends-tu à présent pourquoi tu es ici ?
Ses craintes envolées, la jeune baronne hocha la tête :
— Vous voulez que cet endroit garde son âme. Votre âme. À travers moi.
— Et je vais t'en remercier.
Nous y voilà, songea Algonde en retenant un sourire cynique. Comme la fée lui devenait prévisible. Cela en était presque décevant.
— Je peux lire en ton cœur. L'amour te tourmente. Je veux que tu puisses connaître ton destin pour pouvoir l'infléchir si tu le souhaites, à l'inverse de moi qui, en mon jeune temps, n'ai rien pu empêcher. Alors retiens ceci : Algonde à tes côtés te sera seule fidèle car, je te le prédis, tu auras trois époux. Le premier pour te sauver du déshonneur, le second pour t'en punir, le troisième pour t'en délivrer.
Algonde, qui s'attendait à entendre parler du Turc et de l'enfant, fronça les sourcils. Un rien désarçonnée.
— Mais lequel aimerai-je ? demanda Philippine, blême.
Déjà le buste de Mélusine s'enfonçait dans le tourbillon qu'il bouchait.
— Aucun des trois, hélas, mais un autre auquel, pourtant, tu devras renoncer. Tout comme toi, Algonde. Et c'est en cela que vous êtes liées. Vos destins sont semblables. Puissiez-vous, ensemble, les affronter, leur livra-t-elle encore avant de disparaître tout à fait.
Elles restèrent un moment immobiles, ballottées par le flux autour d'elles, à fixer le cratère, pareillement troublées. Algonde réagit la première, rageuse de s'être laissé manipuler une fois encore. Double sens, double jeu. Ce discours nébuleux ne la concernait en rien. Elle se demandait même en quoi il pouvait être utile à la prophétie. Elle haussa les épaules, dépitée. Décidément, plus le temps passait, plus elle se sentait détachée de la fée !
— Venez. Le courant est plus violent depuis qu'elle a disparu. Si nous perdons pied, nous serons entraînées.
S'aidant mutuellement à remonter la rivière, elles regagnèrent la rive.
— Crois-tu que cela soit vrai ? demanda Philippine en se hissant sur le rocher.
— Tout ce que je sais, c'est qu'elle m'a sauvée. Le reste m'indiffère, avoua Algonde en récupérant ses chaussures sur le bord.
— Cela t'est égal de savoir que je serai malheureuse ?
Algonde se planta devant elle, un sourire aux lèvres.
— Vous êtes trop jolie pour attirer le malheur, alors n'y pensez plus.
— Mais…
— Remettez vos souliers damoiselle Hélène, et rentrons. Le temps se couvre et nous sommes bien assez
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