Le Chant des sorcières tome 1
entraînée par la violence du courant.
— Viens près de moi…
Algonde obtempéra et à l'exemple de sa maîtresse ôta ses chaussures pour laisser l'eau glacée apaiser les griffures à ses mollets.
— Nous voilà bien arrangées ! s'amusa Philippine en clapotant des doigts de pied.
— Par ma faute. Je vous en demande pardon. Je n'aurais pas dû vous entraîner par ce chemin.
— Tu en connaissais un autre, n'est-ce pas ?
— Un peu plus loin et sans danger, avoua Algonde en haussant les épaules.
Philippine y enroula un bras affectueux et l'attira dans un rire léger.
— Je crois que je me serais vengée de même si j'avais été à ta place. Et c'est sans doute pour cela que je t'aime autant, ma bonne Algonde, parce que nous sommes plus semblables que tu ne l'imagines.
Leurs tempes se joignirent, puis leurs doigts.
— Je vous aime aussi, damoiselle Hélène.
Un aveu en forme de souffle dans le tumulte des eaux vives. Une évidence. Le regard fixe sur ces volutes en mouvement qui éclaboussaient les berges. Quelques secondes de complicité. Philippine les rompit.
— Autant que Mathieu ?
— Autant qu'Enguerrand ?
Nouveau rire de la petite baronne de Sassenage.
— Qu'il aille au diable…
Les doigts serrèrent plus fort ceux d'Algonde.
— Je crois que toutes ces années au couvent m'ont rendue plus proche des femmes que des hommes. Je ne les comprends pas. Ils m'attirent. Me troublent agréablement, mais il me suffit de penser à cette chose molle entre leurs cuisses pour en avoir le dégoût aux lèvres.
— Elle n'est pas toujours molle.. .
— Ah non ?
— Pas celle de Mathieu en tout cas.
Elles pouffèrent de concert. Philippine relâcha son étreinte pour planter ses yeux moqueurs dans les siens.
— Est-ce agréable, comme le prétend Sidonie ?
— Irremplaçable, assura sans hésiter Algonde, les joues piquées d'un fard.
Philippine grimaça, fataliste :
— Il faudra donc que je m'y fasse. Mais après avoir soigné Philibert de Montoison, j'avoue que j'ai peine à croire ce que tu m'en dis.
— Ce n'est pas une corvée lorsque le cœur nous y mène.
L'œil se fit brûlant dans celui d'Algonde, la voix soudain plus rauque.
— C'est là tout le problème. Mon cœur…
Algonde baissa les paupières. Ce qui avait précédé avec l'épervier avait annihilé sa volonté, sa raison. Arriverait ce qui devait arriver. Ce jourd'hui. Demain. Elle ne voulait plus se laisser gagner par la haine, refouler ses sentiments jusqu'à l'étouffement. La seule personne qu'elle espérait encore sauver d'elle-même était Mathieu.
Elle s'attendait à la douceur d'un baiser, mais c'est un petit cri de surprise qui vint. Algonde se tourna instinctivement vers la falaise que fixait Philippine, les yeux écarquillés.
Le buste émergeant du tourbillon, Mélusine les dévisageait derrière le voile ajouré de ses longs cheveux filasse, un sourire bienveillant aux lèvres. Sa main se tendit et Algonde soupira. Elle ne s'était pas trompée. À quoi bon lutter ? Il était trop tard désormais.
— Venez, dit-elle à Philippine en se laissant glisser du rocher.
La damoiselle ne bougea pas d'un pouce, autant fascinée qu'apeurée. Algonde se planta devant elle et lui prit les mains.
— Il n'y a pas de danger.
Philippine secoua la tête.
— Je ne suis plus sûre. Elle va nous entraîner dans le gouffre avec elle et nous serons perdues.
— Faites-moi confiance. Elle veut seulement vous parler.
Philippine sursauta. Un voile de méfiance brouilla ses traits.
— Qu'en sais-tu ? Tantôt tu ne voulais pas même croire qu'elle existait.
— Tantôt j'espérais encore en garder le secret.
Renonçant à la convaincre, Algonde lui tourna le dos et s'avança vers la fée. Philippine hésita quelques secondes avant que la curiosité ne l'emporte sur son appréhension. Elle la rejoignit dans l'eau à grandes enjambées.
— N'approchez pas davantage ou vous seriez aspirées, les retint Mélusine lorsqu'elles furent à portée de voix.
Elles s'immobilisèrent côte à côte, l'onde vive leur battant les genoux avec tant de violence qu'elles avaient du mal à garder leur équilibre. Les doigts de Philippine crochetèrent ceux d'Algonde comme une enfant qui chercherait le refuge d'un adulte. Un qui sait. Mais Algonde ne savait rien en cet instant, rien des intentions réelles de la fée.
— Heureuse de te revoir, Algonde, tu as meilleure mine que le jour où je
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