Le Chant des sorcières tome 1
tantôt et elle a accepté.
— C'est une heureuse nouvelle, se réjouit Gersende, ravie.
— Certes, certes. Je ne saurais toutefois attendre que les travaux de la Bâtie soient achevés. Pour que nous puissions réintégrer nos appartements, il ne faudra qu'un mois, mais quatre ou cinq avant que nous y donnions de nouveau la moindre réception. Non, bien que ce soit contraire à l'usage et qu'une telle précipitation empêche la venue de l'ensemble de mes vassaux, je n'ai que trop tardé. Ils nous rendront hommage plus tard.
— Que proposez-vous ? s'inquiéta Gersende.
— De la surprendre. Sauriez-vous tout organiser d'ici son retour ?
Gersende s'étrangla. C'était pire que ce qu'elle avait craint.
— Sous huitaine ? Seigneur Dieu, messire, c'est impossible.
— D'ici la fin du mois, au moins ? Le roi décline et sa bénédiction me serait chère.
Gersende soupira. L'argument lui sembla déplacé, le caprice, inconséquent, mais Jacques de Sassenage était son maître et elle savait que, tôt ou tard, elle obéirait. Autant donc gagner dès à présent ce temps qui lui manquerait.
— Le château est petit mais la saison se prête aux festivités de plein air. Un camp pour loger vos invités, la frondaison du gros chêne pour abriter le banquet, énuméra-t-elle sur ses doigts boudinés.
— Et les lices pour le tournoi. Aymar de Grolée m'a assuré qu'Enguerrand était un écuyer de valeur. Il est temps de le faire chevalier. Je pourrais l'adouber au lendemain du mariage pour qu'il puisse participer aux joutes. Qu'en pensez-vous ?
— Il mérite cet honneur, en effet, y consentit Gersende, qui avait vu grandir Enguerrand en ces murs.
De fait, après son veuvage qui l'avait laissée ruinée, Sidonie et ses enfants, déjà flanqués de Marthe, s'étaient installés au château de Sassenage que le baron Jacques et Jeanne de Commiers avaient généreusement mis à leur disposition. Algonde, Mathieu et Enguerrand étaient inséparables avant que ce dernier n'entre en formation à Bressieux auprès du baron Aymar de Grolée.
— Je peux donc compter sur vous, ma bonne Gersende…
— Je ne peux garantir la perfection.
— Nul ne songera à vous en tenir rigueur.
— En ce cas ! Avec l'aide de Dieu et de toutes les bonnes volontés, je me fais fort d'y arriver.
Un sourire satisfait balaya le visage du baron.
— Je peux vous le dire à présent. J'avais craint un instant que vous ne m'opposiez l'argument de cette vieille légende.
— Les légendes sont ce qu'elles sont, messire. Je doute que Mélusine s'offusque de vos épousailles.
— Même si l'on rouvrait le dernier étage du donjon ?
Gersende tiqua.
— Pourquoi le ferait-on ?
— Pour Philippine.
— Vous ne croyez pas que dame Sidonie l'aurait suggéré plutôt que de m'embarrasser avec ce problème de chambre ?
— Elle n'y aura pas songé, voilà tout. D'ailleurs, vous le savez bien. Plus personne depuis des siècles n'a envisagé de modifier ou de rénover quoi que ce soit dans cette demeure.
De fait, Sassenage était le seul château de la région à avoir conservé son allure d'origine. Bâti comme celui de Lusignan en Poitou par Mélusine, peu de temps après son mariage avec Raymondin, comte du Forez, ce castel avait servi d'écrin à leur bonheur. Cinq de leurs enfants y étaient nés. Nul, pas même Raymondin, n'aurait pu se douter que son épouse était en réalité une fée, qu'une malédiction transformait tous les samedis en femme-serpent dans le secret de sa chambre. Le jour où la vérité avait éclaté, Mélusine avait plongé dans les Cuves du Furon. Raymondin avait posé les scellés sur la porte de ses appartements, exigeant que nul ne les enlève jamais, sous peine de voir le diable s'y installer de nouveau.
Jacques de Sassenage avait, par habitude plus que par conviction, fait perdurer la légende. Ce lieu avait gardé une âme mystérieuse qui lui permettait parfois de s'extraire de ses obligations tout autant que de ses trop nombreux courtisans, et par là même de se rapprocher des siens. Ce jourd'hui cependant, il le pressentait, Philippine avait besoin de cette magie.
— Avez-vous une autre idée pour loger ma fille ?
— Lui abandonner mes appartements serait préférable à ce que vous proposez.
Le baron dodelina de la tête.
— Et si je vous disais que Sidonie a rencontré Mélusine et qu'elle est avec elle dans les meilleures dispositions, penseriez-vous encore
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