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Le Chant des sorcières tome 1

Le Chant des sorcières tome 1

Titel: Le Chant des sorcières tome 1 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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grande table, des dentelles et des voiles s'enrouler autour d'elle.
    Les journées se succédèrent ainsi dès l'aube, harassantes et joyeuses, sous un ciel plombé par une chaleur entêtante. Au soir venu, les nuées crevaient au-dessus des préparatifs. Lorsque l'orage se calmait, roulant de l'est, la nuit laissait place à de belles retrouvailles sous le manteau des nuages qu'un vent tiède chassait. Tous s'attablaient alors à proximité du gros chêne, baignés de la lueur dansante et haute des flambeaux. La soupe coulait, épaisse, dans les écuelles. Les rires fusaient, les langues se déliaient. Puis un pipeau fendait l'air de son timbre aigrelet. D'autres mâtinés de chant lui répondaient, jusqu'à ce que l'on s'endorme sur des couvertures ou à même l'herbe humide encore de la pluie que la terre assoiffée dans la journée achevait de drainer.
     
    Comme tous, Algonde était emportée dans ce tourbillon, de sorte qu'elle avait eu peu le temps de songer à ce qu'elle avait appris du chevalier de Montoison. Ses derniers doutes pourtant avaient été balayés par la présence en terre de France de ce prince ottoman. Certes, elle ignorait de quelle façon Philippine le rencontrerait, d'autant que Philibert de Montoison s'avérerait, elle le pressentait, un obstacle de taille, mais, bien qu'elle le refusât de toutes ses forces, son destin était en marche, inexorablement. Elle s'accrochait pourtant encore à ses rêves de vie avec Mathieu. La veille, le jouvenceau s'était avancé jusqu'en leur logis, l'air benêt. Il tortillait comiquement son bonnet entre ses mains et dansait d'un pied sur l'autre en lui jetant de petits regards furtifs.
    — Aurais-tu quelque bêtise à confesser ? lui avait demandé Gersende, amusée de son manège.
    — Non point…
    — C'est ton père qui t'envoie ?
    — Non point…
    — En ce cas, mon bon Mathieu, je te crois bien malade.
    — Non point…
    Algonde s'était esclaffée derrière sa main, se demandant comment sa mère qui pliait du linge de corps parvenait à garder son sérieux. Mathieu était si rouge de chercher les mots qu'il en devenait stupide. Gersende s'était plantée devant lui, les poings sur les hanches, l'œil soupçonneux.
    — Te moquerais-tu de moi, garnement ?
    — Non point, avait-il répété encore en secouant la tête.
    Cette fois, Algonde avait éclaté de rire, comme lorsqu'il lui avait fait sa demande près de la rivière. Blessé dans son orgueil, il l'avait foudroyée du regard.
    — Quand nous serons mariés… avait-il tempêté en agitant son index.
    Gersende avait immobilisé celui-ci entre ses doigts boudinés et Mathieu avait baissé la tête devant son air faussement furieux.
    — Pour cela, mon garçon, il faudrait mon consentement. Est-ce ce que tu es venu chercher ?
    Avant qu'il n'ait eu ouvert la bouche, Gersende l'avait fauché d'un œil sombre.
    — Réfléchis bien avant de répondre, car si, par malheur, j'entends encore un « non point », je te brise le doigt !
    — Oui…
    — Oui quoi, tu veux réfléchir ou tu veux l'épouser ?
    — L'épouser.
    — Là ! Tu vois que ce n'était pas si difficile ! avait ri Gersende.
    La tension de Mathieu s'était relâchée et tous trois avaient terminé ensemble la soirée. Ils n'attendaient plus à présent que l'accord de Leurs Seigneuries pour officialiser leurs fiançailles.
    Du coup, Algonde voulait croire encore qu'elle avait le choix. De refuser son héritage, d'être le jouet de ses ombres maléfiques. Mais elle sentait bien qu'une part d'elle, sans doute celle qui pourrissait ses entrailles du poison de la vouivre mêlé à la semence de Jacques, fléchissait sa détermination au contact de Philippine.
    Elle avait chassé l'angoisse éprouvée à ce constat en se plongeant avec ferveur dans les préparatifs et, pour l'heure, comme d'autres jouvencelles de la maisonnée, était occupée à cueillir des fleurs dans un champ laissé en jachère. Courbée dans le fossé en bordure de la route, Algonde leva la tête au galop d'un cheval qui s'approchait. La silhouette de l'homme qui le menait lui était familière. Elle plissa les yeux et plaça sa main en visière pour s'en assurer. Son cœur tressauta dans sa poitrine. Enguerrand de Sassenage.
    La brassée de fleurs dans son tablier relevé, elle l'attendit, le sourire aux lèvres. Bien que le baron Aymar de Grolée dont il était l'écuyer habitât à treize lieues de Grenoble dans son fief de Bressieux,

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