Le Chevalier d'Eon
il s’était marié. Alors que depuis des siècles féministes et antiféministes se battaient pour la « supériorité » de l’un ou l’autre sexe, ce qui faussait la question, il fut le premier à revendiquer non la supériorité de l’un ou l’autre sexe, mais l’égalité de l’homme et de la femme. Il montrait que les qualités des femmes les rendent aptes à remplir dans la société tous les emplois réservés aux hommes : enseignement, sacerdoce, gouvernement, commandement des armées, justice, sciences. Il ne confondait pourtant pas égalité et identité : si la femme est l’égale de l’homme, elle ne lui est pas semblable, d’où la spécificité de sa place dans le monde.
À l’aube des Lumières, le féminisme fait partie des options majeures des « Modernes » par opposition aux « Anciens », c’est-à-dire aux tenants d’un antiféminisme primaire et borné. Des auteurs de renom mettent leur plume au service des dièses gynophiles, comme Marivaux dont La Colonie, représentée au théâtre des Italiens en 1729, lance des répliques qui font mouche sur les spectateurs et incite les femmes à prendre en main la défense de leurs intérêts. Destouches, La Chaussée, Lesage, Beaumarchais, d’autres encore font applaudir les idées féministes sur les scènes parisiennes. À Londres, depuis 1759, Mme Leprince de Beaumont (sans lien avec d’Éon de Beaumont) publie un journal intitulé le Journal des Dames consacré à la défense des droits des femmes. Les philosophes plaident en faveur de l’égalité des sexes qui dépend d’après eux de l’égalité de l’enseignement : « Les forces seraient égales si l’éducation l’était aussi », affirme Montesquieu. Et Helvétius d’écrire : « Si les femmes sont en général inférieures aux hommes, c’est qu’en général elles reçoivent une plus mauvaise éducation. » Diderot plaide pour elles. Seule exception notable : Jean-Jacques Rousseau pour lequel l’influence excessive des femmes dans la société est à l’origine de toutes les corruptions. Bref, les femmes sont à la mode. Mais de là à passer pour l’une d’elles...
Changer de sexe, se travestir est considéré comme un crime sous l’Ancien Régime. Cependant s’il n’engendre pas la débauche ou d’autres crimes, le transvestisme n’est plus condamné aussi sévèrement qu’au Moyen Âge. Même en ces temps reculés les théologiens considéraient cette pratique comme tolérable si elle permettait aux femmes de conserver leur virginité ou d’accomplir un destin extraordinaire au service de la foi, telles qu’Eugenia d’Alexandrie ou Anastasia de Constantinople, dont l’exemple inspira certaines saintes de l’époque médiévale. Prendre l’habit masculin signifiait pour elle le renoncement à la sexualité et le désir de s’élever spirituellement au rang d’homme, la supériorité masculine ne faisant alors aucun doute. Aux XVI e et XVII e siècles, celles qui s’habillent en homme revêtent le plus souvent l’uniforme militaire et participent aux combats. Le thème de la femme guerrière est venu d’Italie où est né le personnage d’Orlando.
Pendant les guerres de religion et plus tard pendant la Fronde, princesses et nobles dames lèvent des troupes, font d’harassantes chevauchées, mènent la vie des camps et commandent parfois des troupes. Renouvelant le mythe de l’Amazone, référence que l’on retrouve dans tous les ouvrages féministes, on les représente à la manière des guerrières antiques à la chevelure onduleuse, casquées, armées, pourvues de membres robustes et de poitrine généreuse. Elles sont censées concilier les vertus des deux sexes : la chasteté, vertu essentiellement féminine, et la valeur guerrière, vertu virile par excellence. Au reste plusieurs femmes de condition plus modeste se font passer pour des hommes afin de combattre dans les armées de Louis XIV. Elles ont inspiré des romans comme L’Héroïne mousquetaire ou L’Histoire de la dragonne exaltant les vertus guerrières de ces héroïnes qui finissent décorées de la croix de Saint-Louis En 1757 une certaine Marie Bertrand fit beaucoup parler d’elle parce qu’elle avait servi dans l’armée. Son capitaine déclara que « cette pucelle normande avait de celle d’Orléans la vertu et le courage {141} ».
On le sait, les écrits féministes et les héroïnes guerrières passionnaient le chevalier,
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