Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le Chevalier d'Eon

Le Chevalier d'Eon

Titel: Le Chevalier d'Eon Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Evelyne Lever
Vom Netzwerk:
apparaîtrait alors comme un phénomène, un être d’exception qui pouvait concentrer sur lui tous les regards et devenir un personnage de légende   : ainsi continuerait-il d’exister.
    Mais comment était née la rumeur alors que personne n’avait vu le chevalier autrement vêtu qu’en habits masculins   ? D’Éon prétendait que la princesse Daschkoff, récemment installée à Londres, avait révélé cette vérité à la bonne société britannique. Rien n’est moins sûr. Cette aristocrate russe fort liée à la grande-duchesse Catherine au moment de son avènement au point d’avoir aidé les conspirateurs de la future souveraine à assassiner son époux Pierre m, n’avait que dix ans lorsque d’Éon quitta Saint-Pétersbourg. Il n’aurait pas songé à faire une confidence de cette importance à une enfant, fût-elle particulièrement précoce   ! On peut même penser qu’il ne l’avait jamais rencontrée. D’ailleurs la princesse Daschkoff ne parle pas de lui dans ses mémoires. Il est toutefois possible qu’elle ait évoqué dans les salons de la capitale les bals de l’impératrice Élisabeth où les hommes venaient habillés en femme et les femmes en homme.
    Dans son autobiographie restée à l’état de manuscrit, le chevalier prétend que, blessé lors d’une malencontreuse chute de cheval, le médecin qui l’avait soigné s’était rendu compte qu’il n’appartenait pas au sexe qu’on lui attribuait. C’est ainsi que se serait propagée la rumeur. Cependant tout laisse à penser que c’est d’Éon, expert en intrigues, qui lança lui-même la nouvelle pour attirer de nouveau l’attention sur lui, revendiquer sa virilité et passer pour victime avant de se laisser quasi-officiellement extorquer un aveu qui pouvait le servir auprès du roi. En effet le souverain n’employait pas de femmes dans son réseau d’espions   : il devrait donc mettre fin à la carrière de son étrange agent, le faire revenir en France et laisser tranquille cette femme d’exception à laquelle on ne manquerait pas de s’intéresser. C’est du moins ce qu’ont pensé les plus sérieux biographes du chevalier. Si tel était le projet de d’Éon, il comportait le risque de l’enfermement dans un couvent à son retour en France. Mais d’Éon comptait bien négocier les papiers qu’il conservait précieusement   : c’était son talisman.

Féminisme, antiféminisme et transvestisme au Siècle des Lumières
    En admettant que cette hypothèse soit la bonne – ce que nous avons tout lieu de penser – pourquoi le chevalier à l’esprit si inventif eut-il eu recours à ce subterfuge-là plutôt qu’à un autre pour regagner la terre natale   ? Pourquoi se faire passer pour une femme dans une société où l’on considérait encore l’homme comme supérieur à la femme   ? Depuis l’Antiquité la gynophobie était monnaie courante. Les misogynes ressassaient toujours les mêmes arguments tirés des Anciens et des Pères de l’Église. La femme   ? « Une erreur de la nature   », une sorte de monstre apparu sur la terre par suite d’un déplorable accident, prétendait Aristote. Depuis lors on avait disserté à l’infini sur sa redoutable malice, son impudicité, son caractère versatile, veule et cruel. On citait à l’appui d’innombrables témoignages de sa perfidie   : Adam trahi par Ève, David,
    Salomon, Hercule, Samson, victimes comme lui de la maléfique puissance féminine. Malheur à qui se laissait prendre aux sortilèges des filles d’Ève, sources de tous les désordres   ! Cependant, timidement des voix favorables à ces créatures inférieures s’élevèrent. Le conflit entre féministes et antiféministes connut des temps forts où l’ardeur apologétique des uns et l’hystérie des autres s’affrontèrent avec violence. Des controverses sur la supériorité de l’un ou l’autre sexe inspirèrent quantité de traités et les historiens ont enregistré ces poussées de fièvre sous l’appellation de « querelle des femmes   ». En 1673, un ouvrage fit date dans l’histoire du mouvement féministe. Il s’agit de l’Égalité de l’homme et de la femme dont l’auteur François Poullain de la Barre peut passer à bon droit pour l’un des esprits les plus clairvoyants de son époque. Ce libertin, né à Paris en 1647, docteur en théologie, curé dans le diocèse de Laon et qui avait embrassé la religion protestante, s’était retiré à Genève où

Weitere Kostenlose Bücher