Le clan de l'ours des cavernes
cet animal ne nous ennuiera plus ! Soudain elle suspendit son geste.
qu'est-ce que je raconte là ? Je ne risque pas d'offrir à quiconque la fourrure de ce glouton ni même de la garder pour moi. Je ne suis pas censée chasser. Je préfère ne pas penser à la sanction qui m'attendrait si jamais l'on découvrait que j'ai tué cet animal. Ayla s'accroupit près de la dépouille dont elle caressa le poil dense.
Elle venait de tuer sa première proie, et même si ce n'était pas un bison terrassé à l'épieu, c'était mieux que le porc-épic de Vorn. Mais aucune cérémonie ne marquerait son entrée dans le monde des chasseurs, aucun festin ne serait organisé en son honneur ! Si elle rapportait le glouton à
la caverne, elle n'obtiendrait que des regards consternés et la plus sévère des punitions. Peu importait qu'elle voul˚t rendre service au clan et se montr‚t capable de chasser brillamment. Les femmes ne devaient pas chasser, les femmes ne devaient pas tuer d'animaux.
Elle poussa un soupir. Mais je le savais, je le savais bien, pensat-elle.
Avant même que je commence à chasser, avant même que je touche à cette fronde, je savais que je transgressais l'une des lois du clan.
Le plus intrépide des jeunes gloutons sortit de sa cachette et, après quelque hésitation, vint renifler la femelle morte. Ces petits vont nous créer autant d'ennuis que leur mère, se dit Ayla. Mieux vaut éloigner cette charogne. Si je l'emmène assez loin, ils la suivront à l'odeur. Ayla se leva et trama le glouton mort au plus profond des bois en le tirant par la queue. Puis elle se mit en quête de plantes.
Le glouton ne fut que le premier d'une longue série de prédateurs et de nécrophages à tomber sous les coups de la fronde. Les martres, les visons, les furets, les loutres, les belettes, les blaireaux, les hermines, les renards, ainsi que les chats sauvages tigrés gris et noir devinrent les victimes de ses lancers foudroyants. La décision d'Ayla de ne tuer que des prédateurs contribua grandement à accélérer le processus de son apprentissage, en l'obligeant à développer son habileté et sa précision.
Les carnivores étaient bien plus rapides, plus astucieux, plus intelligents et plus dangereux que les paisibles herbivores.
Elle surpassa de loin Vorn, moins enthousiaste à pratiquer la fronde et moins bien adapté morphologiquement, moins souple, moins délié qu'elle pour atteindre une grande précision. Ayla ambitionna vite de devenir l'égale de Zoug. De fait, elle gagnait de jour en jour plus d'assurance et de savoir-faire. Un peu trop rapidement, toutefois.
L'été tirait à sa fin, avec son lot de chaleurs torrides alternant avec des orages. Il faisait terriblement chaud ce jour-là ; pas la moindre brise ne venait troubler l'immobilité de l'air. La veille, un orage extraordinaire avait illuminé toute la montagne de ses terribles éclairs et forcé le clan à se réfugier dans la caverne. La forêt était humide et étouffante. Les mouches et les moustiques bourdonnaient inlassablement aux abords de ce qui était devenu un mince filet d'eau.
Ayla suivait à la trace un renard roux, traversant sans bruit les sousbois en bordure d'une petite clairière. Le front emperlé de sueur, elle songeait à abandonner la partie et à rentrer à la caverne. En arrivant au bord de la rivière, elle s'arrêta pour boire dans une petite cuvette naturelle o˘
l'eau vive coulait encore, canalisée entre deux gros rochers.
Au moment o˘ elle se relevait, elle resta pétrifiée à la vue de la tête et des oreilles houppées d'un lynx, tapi sur le rocher juste en face d'elle, battant l'air de sa queue courte. Plus petit que bien d'autres félins, le lynx au long corps et aux pattes trapues était capable de bonds prodigieux. Il se nourrissait surtout de lièvres, de lapins, de gros écureuils et autres rongeurs, mais pouvait fort bien terrasser un petit daim si l'envie lui en prenait ; un être humain de huit ans représentait exactement le genre de proie susceptible de lui convenir.
Le premier réflexe d'effroi passé, Ayla se sentit parcourue par un frisson d'excitation à l'idée de s'opposer au félin immobile. Zoug n'avait-il pas dit à Vorn qu'on pouvait tuer les lynx à la fronde ? Sans quitter l'animal des yeux, elle glissa tout doucement la main dans les replis de son vêtement, drapé court en cette saison, et y prit sa plus grosse pierre. Les paumes moites, elle saisit fermement les deux extrémités
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