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Le combat des ombres

Le combat des ombres

Titel: Le combat des ombres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
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sauta sur l'ouverture, soulagé :
    – Eh bien… en raison de l'immense importance de votre fonction, de votre magnifique réputation, de l'illustre renom de l'abbaye que vous dirigez avec un remarquable talent… j'ai songé que peut-être…
    Le regard bleu pâle qui le dévisageait lui faisait perdre ses moyens et les phrases destinées à émouvoir qu'il avait répétées tout le chemin.
    – Songé que peut-être ?
    – Euh… Peut-être accepteriez-vous d'intercéder en notre faveur… à Rome.
    – À Rome ?
    – Une place d'huissier pour mon cadet. Il est vif, travailleur et je suis bien certain qu'il donnerait grande satisfaction et en serait vite récompensé par une charge plus prestigieuse. Chambrier, peut-être.
    Elle le considéra, imperturbable. Il baissa le visage au point que son menton s'enfonça dans la panne qui gonflait son cou.
    – Ma sœur… ma mère, je m'en suis voulu, terriblement, de la dureté de notre père à votre égard. J'aurais dû m'élever contre son attitude. J'ai fait preuve de trop d'obéissance, et j'implore votre pardon.
    Une étrange sensation se substitua à l'aigreur d'Annelette. Ainsi, il venait quémander une faveur de celle qu'il aurait volontiers poussée vers une arrière-cuisine afin de lui faire laver les linges souillés de ses malades. Elle aurait été fondée à en tirer une revanche ou, à tout le moins, une légitime satisfaction. Il n'en était rien. La présence de son frère aux Clairets l'irritait, quant à celle de son neveu, qui lui décochait des sourires à répétition, elle lui était indifférente. Pourtant, elle ne leur en voulait plus. Ni à Grégoire, ni à leur père. Ils avaient disparu de son monde. Enfin.
    – Décidément, Grégoire ! Vous me preniez alors pour une idiote et vous persistez. Mon fils, nous ne nous aimons pas, cessons donc cette comédie d'attendrissement. Le seul contentement que je tirerai de votre visite sera cette nouvelle preuve que nous sommes d'essence bien différente. En effet, j'intercéderai. À Dieu, mon frère. De grâce, acceptez mon hospitalité pour la nuit. Vous repartirez au tôt matin.
    – Ma tante…, bafouilla de gratitude le neveu.
    Elle l'interrompit d'un glacial :
    – Madame ma mère !
    Elle tourna les talons et lança par-dessus son épaule :
    – Ah, et Grégoire, inutile de me venir remercier lorsque vous aurez obtenu ce que vous vîntes chercher. Vous ne serez alors pas mon débiteur puisque vous venez, sans même le savoir, de me rendre un fier service.
    Il sembla à Annelette qu'Éleusie de Beaufort déposait un baiser sur son front. Elle atteignait la paix des souvenirs après tant et tant d'années.
    1 Usurier, avaricieux. Littéralement : celui qui fesse saint Mathieu (patron des banquiers et changeurs) dans le but de lui soutirer de l'argent.

Maison de l'Inquisition, Alençon, Perche, octobre 1306
    Bernadette Carlin attendait, les mains jointes sur son ventre. De fine silhouette, elle avait dû être agréable à contempler, mais la vie s'était chargée d'abîmer le visage à l'ovale parfait, d'éteindre les jolis yeux gris.
    Un silence pesant régnait dans la salle d'interrogatoire, seulement troublé par le froissement de la courte feuille que tournait et retournait le seigneur inquisiteur.
    – Veuillez décliner vos prénoms, nom et qualités, madame.
    – Bernadette, Jeanne, Marie, Carlin, née Bardeau. Veuve, orfraiseuse 1 louée.
    Le notaire se leva et récita d'un ton pincé :
    –  In nomine Domini, Amen . En l'an 1306, le 24 du mois d'octobre, en présence du soussigné Gauthier Richer, notaire à Alençon, accompagné de l'un de ses clercs et des témoins nommés frère Robert et frère Foulque, dominicains, tous deux du diocèse d'Alençon, nés respectivement Ancelin et Chandars, comparait volontairement et personnellement Bernadette, Jeanne, Marie, Carlin, née Bardeau devant le vénérable frère Jacques du Pilais, dominicain, docteur en théologie, seigneur inquisiteur pour le territoire d'Évreux, nommé pour juger cette affaire en notre bonne ville d'Alençon.
    Jacques du Pilais s'avança vers la femme, la vrillant de son regard pâle.
    – Bernadette Carlin, voici les quatre Évangiles. Apposez votre main droite sur eux et jurez de dire toute la vérité, tant sur vous-même que sur les autres. Le jurez-vous sur Dieu et sur votre âme ?
    – Je le jure, affirma-t-elle d'une voix mal assurée.
    – Vous savez, bien sûr,

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