Le commandant d'Auschwitz parle
L’opposition de ces intérêts devenait de plus en plus
flagrante à la suite des exigences de main-d’œuvre presque illimitées formulées
par le ministère de l’Armement et par l’Organisation Todt. Le Reichsführer
faisait constamment des promesses à ces deux administrations, en indiquant des
chiffres qu’il n’y avait aucune possibilité d’atteindre. Comme chef du bureau D 11,
Maurer se trouvait placé devant la tâche difficile de satisfaire tant bien que
mal les exigences permanentes de ces administrations : il insistait donc
auprès des officiers chargés de récupérer la main-d’œuvre pour qu’ils trouvent
le plus d’hommes possible.
On n’a jamais pu obtenir à ce sujet une décision claire et
nette d’Himmler. Personnellement, j’étais d’avis qu’il fallait sélectionner
uniquement des Juifs bien portants et vigoureux. La sélection se faisait de la
façon suivante : on déchargeait les wagons les uns après les autres. Ayant
déposé leurs bagages, les Juifs devaient passer devant un médecin SS qui
décidait pendant qu’ils marchaient, s’ils étaient capables ou non de
travailler. Ceux qui étaient reconnus capables étaient immédiatement conduits
dans le camp par petits détachements [131] .
Le pourcentage des capables s’élevait en moyenne à 25 %
ou 30 % du convoi, mais il était sujet à de fortes oscillations. Ainsi,
par exemple, le pourcentage moyen des Juifs grecs capables de travailler, ne
dépassait pas le chiffre de 15 %. Il y avait, par contre, des convois en
provenance de Slovaquie qui comprenaient 100 pour 100 de capables. Les médecins
et infirmiers juifs étaient tous dirigés vers le camp.
Dès les premières incinérations en plein air, on s’aperçut
qu’à la longue la méthode ne serait pas utilisable. Lorsque le temps était
mauvais ou le vent trop fort, l’odeur se répandait à des kilomètres et à la
ronde et toute la population environnante commençait à parler de l’incinération
des Juifs, en dépit de la propagande contraire du parti et des organes
administratifs. Tous les SS qui participaient à l’action d’extermination
avaient reçu l’ordre le plus sévère de se taire. Mais, par la suite, lors de
certaines instructions judiciaires, entreprises par les autorités SS, on s’aperçut
que les participants ne tenaient pas compte de cette consigne de silence. Même
les peines les plus sévères ne pouvaient empêcher les bavardages. Par la suite,
la défense anti-aérienne émit une protestation contre les feux nocturnes
visibles à longue distance des aviateurs. Mais nous nous trouvions dans l’obligation
de poursuivre les incinérations pendant la nuit pour empêcher un embouteillage
des convois. Il fallait à tout prix maintenir l’horaire des diverses « actions »
établi de la façon la plus précise au cours d’une conférence décidée par le
ministre des Communications : sinon on aurait pu craindre des
embouteillages et des désordres sur les voies ferrées intéressées et, pour des
motifs d’ordre militaire, il fallait l’éviter. C’est pour ces raisons qu’on
procéda par tous les moyens à une planification accentuée et qu’on fit enfin
construire les deux grands crématoires, au cours de 1943, deux nouvelles
installations de moindre importance. Par la suite, on avait projeté une
nouvelle installation qui dépassait de beaucoup celles qu’on construisait déjà ;
mais, on renonça à ce projet lorsque Himmler donna, en automne 1944, l’ordre
d’arrêter immédiatement l’extermination des Juifs.
Les deux grands crématoires I et II furent construits
au cours de l’hiver 1942-1943 et mis en exploitation au printemps 1943.
Ils disposaient chacun de cinq fours à trois foyers et pouvaient incinérer en
vingt-quatre heures environ deux mille cadavres. Des considérations d’ordre
technique – crainte d’incendie – rendaient impossible une
augmentation de cette capacité. Des essais entrepris dans ce sens n’aboutirent
qu’à de gros dommages et même, à plusieurs reprises, à l’arrêt total de l’exploitation.
Les deux crématoires I et II disposaient, au sous-sol, de chambres pour se
dévêtir et de chambres à gaz qu’on pouvait aérer. Les cadavres étaient transportés
par un ascenseur vers le crématoire du rez-de-chaussée.
Dans chacune des chambres à gaz, il y avait de la place pour
3 000 hommes, mais ces chiffres ne furent jamais atteints, car les
convois étaient
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