Le commandant d'Auschwitz parle
que
le chef s’en aperçoive.
À Auschwitz, je ne fus pas long à acquérir la certitude que
mes subordonnés faisaient ample usage de procédés semblables. Pour obtenir un
changement radical, il aurait fallu changer immédiatement tout le personnel, et
l’inspection générale des camps, cela va sans dire, n’y aurait jamais consenti.
Je n’avais aucune possibilité de surveiller dans tous les
détails l’exécution de mes ordres sans assumer moi-même les tâches d’autrui et
sans abandonner l’essentiel de ma besogne qui consistait à créer aussi vite que
possible un camp à peu près utilisable.
En tenant compte de la mentalité de mes subordonnés, j’aurais
dû rester au camp, sans le quitter un seul instant pendant la première période
où les prisonniers commençaient seulement à arriver. Or, c’est à ce moment
précis que je devais m’absenter presque tout le temps, afin de parer à l’incapacité
de la plupart des fonctionnaires. Pour maintenir l’existence même du camp, je
devais conduire de longs pourparlers avec les organismes administratifs, avec
le chef du district, avec le gouverneur de la province.
Mon intendant était un propre à rien : et c’est encore
à moi qu’incombaient dans ces conditions toutes les négociations au sujet du
ravitaillement de la troupe et des internés, qu’il s’agisse de pain, de viande
ou de pommes de terre. Même pour obtenir de la paille, je devais me rendre en
personne dans les domaines environnants. Comme je n’avais pas à compter sur le
moindre concours de l’inspection générale des camps, je devais me débrouiller
pour obtenir de l’essence par tous les moyens licites et illicites. Je devais
me rendre dans les villes de Zakopane et de Rabka pour mettre la main sur
quelques marmites destinées à la cuisine des prisonniers, et la recherche de
lits et de paillasses allait me conduire jusqu’au pays des Sudètes.
Le chef des constructions du camp était incapable de se
procurer les matériaux les plus indispensables : une fois de plus c’était
à moi de m’en occuper. Pendant ce temps, on se disputait à Berlin les
responsabilités budgétaires à propos de l’agrandissement d’Auschwitz ;
selon les accords prévus, le camp appartenait encore à la Wehrmacht qui l’avait
prêté aux SS seulement pour la durée de la guerre.
J’étais assailli constamment par les appels des diverses
autorités policières de Berlin, de Breslau et de Cracovie qui voulaient toutes
savoir à quelle date je pourrais accueillir des contingents plus ou moins
importants de détenus.
Quant à moi, j’étais tourmenté par un problème bien
différent : dénicher quelque part une centaine de mètres de fil de fer
barbelé ! Il y en avait des montagnes entières dans le dépôt des sapeurs,
mais je ne pouvais rien obtenir sans une autorisation spéciale de l’état-major
supérieur du génie à Berlin. Or, l’inspection générale se refusait à entreprendre
aucune démarche dans ce sens. Il ne me restait qu’à voler les quantités de fil
de fer barbelé dont j’avais le besoin le plus urgent. Je faisais démonter les
restes des fortifications de campagne et je faisais détruire les abris pour me
procurer de la ferraille. Dès que je tombais sur un dépôt, je faisais charger
tous les matériaux qui s’y trouvaient, sans me préoccuper des « compétences ».
Ne m’avait-on pas dit que je devais me débrouiller comme je pouvais ?
Simultanément, les autorités délogeaient tous les habitants
d’une première zone avoisinant le camp et l’on s’apprêtait à faire évacuer une
seconde zone. C’était à moi d’organiser l’exploitation des terres arables qui s’ajoutaient
ainsi à notre domaine.
Fin novembre 1940, je fus convoqué pour la première
fois chez le Reichsführer et je reçus l’ordre de procéder à un agrandissement
de l’ensemble du territoire du camp. J’étais déjà suffisamment occupé par la
construction et l’organisation du camp proprement dit : maintenant c’était
le début d’une série ininterrompue de nouvelles planifications et de nouvelles
besognes [58] .
Obsédé par mon travail, je ne voulais pas me laisser abattre
par les difficultés : j’étais trop ambitieux pour cela. Chaque nouvel
obstacle ne faisait que stimuler mon zèle.
La multitude et la variété de mes travaux, comme on le comprendra
aisément, ne me laissaient que fort peu de temps pour m’occuper spécialement
des
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