Le commandant d'Auschwitz parle
et cherchent à
résister à l’inévitable.
Quoique les conditions générales d’existence à Auschwitz n’eussent
vraiment rien d’attrayant, aucun détenu polonais ne voulait se laisser
transférer dans un autre camp. Dès qu’on leur annonçait leur départ, ils
mettaient tout en œuvre pour obtenir une exception en leur faveur. En 1943,
lorsque nous parvint l’ordre général de transférer tous les Polonais dans les
camps situés à l’intérieur du Reich, je fus littéralement submergé par des
demandes qui me parvenaient des responsables de tous les ateliers, de toutes
les exploitations. Aucun d’entre eux ne pouvait soi-disant se passer des
Polonais. Je me vis obligé de recourir à la force et de procéder à un échange
calculé d’après le pourcentage. Je n’ai jamais entendu parler d’un détenu
polonais qui aurait sollicité volontairement son transfert dans un autre camp.
Je n’ai jamais pu m’expliquer pourquoi ils tenaient tant à Auschwitz [70] .
Il y avait parmi les détenus polonais trois grands groupes
politiques qui se combattaient violemment : le groupe le plus important
était composé de nationalistes chauvins. Ils se disputaient les postes
influents. Si l’un d’entre eux se voyait confier un poste important dans le
camp, il cherchait aussitôt à entraîner derrière lui les adhérents de son
groupe et à éliminer ceux qui appartenaient à d’autres. Les intrigues allaient
bon train ; j’ose affirmer que plus d’un cas de fièvre typhoïde ou de
typhus avec issue mortelle, doivent être portés à l’actif de ces luttes
partisanes. Les médecins me disaient souvent que les luttes d’influence étaient
particulièrement violentes à l’infirmerie. Il en allait de même au bureau
chargé de la distribution de la main-d’œuvre [71] .
C’étaient là les deux postes clés de toute la vie du camp : ceux qui s’en
étaient emparés étaient les maîtres ; il leur était loisible de caser
leurs amis, d’éliminer ou même de liquider ceux qui avaient le malheur de leur
déplaire : tout était possible à Auschwitz.
Ces luttes politiques avec des situations importantes comme
enjeu ne se livraient pas seulement parmi les détenus polonais d’Auschwitz. Les
adversaires politiques s’affrontaient dans tous les camps et parmi toutes les
nationalités. Je sais que les Espagnols rouges internés à Mauthausen se
divisaient en groupes hostiles. Lorsque j’étais en prison préventive et au
pénitencier, j’y ai vu également les hommes de droite et les hommes de gauche
divisés en deux camps ennemis.
Dans les camps de concentration, c’est l’administration
elle-même qui entretenait et attisait ces rivalités, allant jusqu’à faire jouer
les différences de races et de catégories, pas seulement politiques. Elle
espérait ainsi empêcher une cohésion trop étroite entre les détenus, cohésion
qui ne lui aurait pas permis de garder en main ces milliers de prisonniers. « Divide
et impera » : ce précepte de haute politique reste valable pour
la direction d’un camp de concentration.
Détenus russes et tziganes
Un autre contingent important était fourni par les
prisonniers de guerre russes appelés à construire le camp de concentration de
Birkenau.
Ils nous avaient été livrés dans un état de déchéance
physique complète par le camp de prisonniers de Lambsdorf qui se trouvait sous
la direction de la Wehrmacht. Avant d’arriver à Auschwitz, ils avaient marché
pendant des semaines sans aucun ravitaillement ; pendant les arrêts on les
conduisait tout simplement dans les champs les plus proches pour qu’ils y
cherchent n’importe quelle nourriture, comme des bêtes. À Lambsdorf on en avait
rassemblé, paraît-il, pas moins de deux cent mille. On les avait installés
presque tous dans des abris qu’ils avaient creusés eux-mêmes dans la terre. L’approvisionnement
était insuffisant et irrégulier. Ils faisaient leur cuisine eux-mêmes dans
leurs trous, mais la plupart d’entre eux engloutissaient leur ration toute
crue.
La Wehrmacht ne s’était pas attendue, en 1941, à de telles
masses de prisonniers de guerre et les bureaux qui en étaient responsables
disposaient d’une organisation trop rigide pour pouvoir se livrer à des
improvisations. Je remarque en passant que, lors de la débâcle de mai 1945,
les prisonniers de guerre allemands allaient se trouver dans la même situation.
Les Alliés eux, non plus, n’étaient pas
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