Le commandant d'Auschwitz parle
l’homme qui le tenait contre
le fil de fer électrifié et disparaît. La sentinelle postée sur le mirador
avait observé toute la scène mais il était trop tard pour tirer sur le fuyard.
Je fis venir, sans tarder, le Blockführer de service et fis interrompre le
courant ; là-dessus je me rendis au camp pour rechercher le coupable. L’homme
projeté contre le fil de fer était mort et il n’y avait plus moyen de retrouver
son agresseur.
Ce n’étaient plus des hommes. Ils s’étaient transformés en
bêtes qui ne pensaient plus qu’à manger. Plus de dix mille hommes avaient été
rassemblés pour fournir la main-d’œuvre nécessaire à la construction du camp de
Birkenau. Vers l’été 1942, il n’en restait que quelques centaines. Cette
minorité représentait une élite. Ils travaillaient d’une façon parfaite et on
les utilisait comme commandos volants chaque fois qu’il s’agissait d’un travail
urgent. Mais je n’ai jamais pu me défaire de l’impression que ces hommes
avaient survécu aux dépens de leurs camarades parce qu’ils étaient plus
coriaces, plus acharnés et moins scrupuleux.
Au cours de l’été 1942, si ma mémoire ne m’abuse, ces
hommes organisèrent une évasion collective. Une grande partie d’entre eux fut
abattue par les sentinelles, mais d’autres, assez nombreux, parvinrent à s’enfuir.
Ceux qu’on avait réussi à ramener au camp expliquèrent qu’ils
s’étaient décidés à cet acte de désespoir parce qu’ils craignaient la chambre à
gaz. On venait de leur annoncer leur prochain transfert dans un autre secteur,
récemment achevé, et ils croyaient que ce n’était là qu’un prétexte. En
réalité, on n’avait jamais eu l’intention de gazer ces Russes. Mais ils
savaient certainement qu’on avait liquidé de cette manière leurs compatriotes,
commissaires et instructeurs politiques, et ils pensaient qu’ils allaient subir
le même sort. C’est ainsi que naissent les psychoses collectives…
Les Tziganes représentaient, eux aussi, un contingent considérable.
Longtemps avant la guerre, lors de l’action entreprise
contre les asociaux, on avait commencé à interner les Tziganes dans les camps
de concentration. Un bureau spécial de la Direction de la police criminelle du
Reich était chargé de la surveillance des Tziganes. On faisait constamment des
perquisitions dans leurs campements pour mettre la main sur des individus non
tziganes qui s’y étaient infiltrés et on les renvoyait dans des camps comme
asociaux ou réfractaires au travail ; on procédait aussi, périodiquement,
dans ces mêmes campements, à des recherches biologiques. Le Reichsführer
voulait à tout prix assurer la conservation des deux tribus tziganes les plus
importantes. Il les considérait comme les descendants directs de la race
indo-germanique primitive dont ils auraient conservé les us et les coutumes
dans leur pureté originelle. Il voulait les faire enregistrer tous sans
exception. Bénéficiaires de la loi « sur la protection des monuments historiques »,
ils auraient été recherchés dans toute l’Europe et installés tous dans une
région déterminée où les savants auraient pu les étudier à loisir.
Pour exercer un contrôle plus effectif sur les Tziganes
nomades, on les rassembla tous en 1937-1938 dans des « camps d’habitation »
installés au voisinage des grandes villes. Mais, en 1942, ordre fut donné d’arrêter
sur toute l’étendue du Reich toutes les personnes de sang tzigane, y compris
les métis, et de les expédier à Auschwitz. L’âge et le sexe n’étaient pas pris
en considération. Une exception était faite uniquement en faveur de « Tziganes
purs », reconnus comme membres des deux tribus principales : ceux-ci
devaient se fixer dans le district d’Oldenburg, sur les rives du lac de
Neusiedler. Ceux que l’on destinait à Auschwitz devaient y rester pendant la
durée de la guerre dans un « camp familial ».
Les directives d’après lesquelles on devait procéder à ces
arrestations n’étaient pas suffisamment précises. Les divers représentants de
la police criminelle les interprétaient à leur gré. C’est ainsi que nous vîmes
arriver toute une série de personnes qui n’auraient dû être internées dans
aucun cas. On avait arrêté, par exemple, de nombreux permissionnaires blessés à
plusieurs reprises et titulaires de hautes décorations, uniquement parce que
leur père, leur mère ou l’un
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