Le commandant d'Auschwitz parle
Ayant
gardé leur nature enfantine, ils étaient inconséquents dans leurs pensées et
dans leurs actes, et jouaient volontiers. Ils ne prenaient pas trop au sérieux
le travail ; optimistes jusqu’au bout, ils cherchaient le bon côté des
choses, même lorsqu’il s’agissait des occupations les plus pénibles.
Je n’ai jamais remarqué chez eux de regards sombres ou
haineux. Lorsqu’on venait dans leur camp, ils sortaient de leurs baraques,
faisaient de la musique, encourageaient leurs enfants à danser et faisaient
étalage de leurs dons de saltimbanques. Ils disposaient d’un grand jardin d’enfants
garni des jouets les plus variés où leurs gosses pouvaient s’ébattre à leur
aise. Lorsqu’on leur adressait la parole, ils répondaient en toute confiance et
formulaient toutes sortes de bons vœux.
J’avais toujours l’impression qu’ils n’étaient pas
entièrement conscients de la situation dans laquelle ils se trouvaient.
Il se jouait entre eux des luttes féroces. Les diverses
tribus et clans se combattaient et dans leur acharnement se manifestait le sang
fougueux de leur race.
À l’intérieur de leur clan ils étaient très unis et très
attachés les uns aux autres. Au moment où l’on sélectionna les hommes capables
de travailler, la séparation provoqua des scènes émouvantes, beaucoup de
chagrin et de larmes. Mais on les rassura et on les consola en leur promettant
qu’ils se retrouveraient tous plus tard.
Pendant un certain temps, les hommes capables de travailler
furent employés à Auschwitz même, au camp principal. Ils faisaient l’impossible
pour voir de temps à autre les membres de leur clan, ne fût-ce que de loin. Ils
manquaient à l’appel fréquemment : torturés par la séparation, ils s’étaient
faufilés, en ne reculant devant aucune ruse, dans le secteur réservé aux leurs.
Même lorsque je me rendais à Oranienburg à l’inspection
générale des camps, je me voyais souvent interpellé par des Tziganes qui m’avaient
connu à Auschwitz et qui espéraient obtenir de moi des nouvelles de leurs
proches. Souvent ceux-ci étaient déjà gazés ; il m’était fort pénible de
donner des réponses évasives à ces gens qui m’abordaient avec tant de
confiance. Ils m’ont causé à Auschwitz pas mal de souci, mais c’étaient
pourtant, si j’ose dire, mes détenus préférés. Leur nature ne leur permettait
pas de rester fixés pendant longtemps au même endroit. Ces « bohémiens »,
toujours prêts à vagabonder, avaient une prédilection marquée pour les
commandos de transport parce qu’ils pouvaient satisfaire leur curiosité en
allant à droite et à gauche et aussi parce que cela leur procurait des occasions
de voler. On ne pouvait naturellement rien faire contre ces penchants innés.
Leur conception de la morale était tout à fait particulière. Pour eux, il n’y
avait rien de répréhensible dans le vol. Ils n’arrivaient pas à comprendre qu’on
les punisse. Je ne parle ici que de la majorité des détenus, des vrais Tziganes
vagabonds ainsi que des métis complètement adaptés aux mœurs tziganes. Mon
jugement ne s’étend pas aux sédentaires, aux habitants des villes, qui étaient
déjà imprégnés de mœurs civilisés dans ce qu’ils ont de pire.
J’aurais été encore plus intéressé par leur vie et leurs
coutumes si je n’avais pas éprouvé une terreur perpétuelle en pensant à l’ordre
qui m’avait été donné de les liquider.
Jusqu’au milieu de 1944 il n’y avait, en dehors de moi, que
les médecins qui connaissaient les ordres d’extermination. Ils avaient reçu du Reichsführer
la consigne de supprimer discrètement les malades, et plus spécialement les
enfants. Et ces gosses avaient encore une telle confiance ! Rien n’est
plus difficile que d’exécuter froidement de tels ordres en faisant abstraction
de tout sentiment de pitié.
Les Juifs
À partir de 1942, les Juifs constituèrent la masse
principale des détenus d’Auschwitz. Quel était leur comportement ? Quelle
influence la détention exerçait-elle sur eux ?
Dès le début il y eut des Juifs dans les camps de
concentration et j’avais suffisamment appris à les connaître pendant mon séjour
à Dachau. Mais à cette époque-là, les Juifs avaient la possibilité d’émigrer :
il leur suffisait d’obtenir le visa d’entrée dans n’importe quel pays étranger.
Ce n’était donc pour eux qu’une question de temps, d’argent et de
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