Le commandant d'Auschwitz parle
main parce qu’on
l’utilisait constamment au bureau comme insecticide. Il m’en informa dès mon
retour ; pour le convoi suivant, on utilisa de nouveau les mêmes gaz.
C’est dans les cellules d’arrestation du bloc 11 qu’on
procédait à la mise à mort des prisonniers au moyen des gaz. Protégé par un
masque à gaz, j’y ai assisté moi-même. L’entassement dans les cellules était
tel que la mort frappait la victime immédiatement après la pénétration des gaz.
Un cri très bref presque étouffé, et tout était fini. J’étais peut-être trop
impressionné par ce premier spectacle d’hommes gazés pour en prendre conscience
d’une façon suffisamment nette. Je me souviens par contre avec beaucoup plus de
précision de la façon dont furent gazés peu après neuf cents Russes. Comme l’utilisation
du bloc 11 exigeait des préparatifs trop compliqués, on les dirigea vers
le vieux crématoire [93] .
Tandis qu’on déchargeait les camions, on perça rapidement plusieurs trous dans
les parois de pierre et de béton de la morgue. Les Russes se déshabillèrent
dans une antichambre et franchirent très tranquillement le seuil : on leur
avait dit qu’ils allaient à l’épouillage. Lorsque tout le convoi se trouva
rassemblé, on ferma les portes et on laissa pénétrer le gaz par les trous. Je
ne sais combien de temps a pu durer cette exécution. Pendant un bon moment on
entendait encore les voix des victimes. D’abord des vois isolées crièrent :
« Les gaz ! » et puis, ce fut un hurlement général. Tous se
précipitèrent vers les deux portes mais elles ne cédèrent pas sous la pression.
On ouvrit la pièce au bout de quelques heures seulement et c’est alors que je
vis pour la première fois les corps des gazés en tas.
Je fus saisi d’un sentiment de malaise et d’horreur.
Pourtant, je m’étais toujours imaginé que l’usage des gaz entraînait des
souffrances plus grandes que celles causées par l’asphyxie. Or, aucun des
cadavres ne révélait la moindre crispation. Le médecin m’expliqua que le
cyanure exerce une influence paralysante sur les poumons si rapide et si
puissante qu’il ne provoque pas de phénomènes d’asphyxie semblables à ceux que
produit le gaz d’éclairage ou la suppression totale de l’oxygène.
À cette époque, je ne m’étais pas livré à des réflexions
particulières à propos de cette extermination de prisonniers de guerre russes :
un ordre était donné et je n’avais qu’à l’exécuter. Mais je dois avouer en
toute franchise que le spectacle auquel je venais d’assister avait produit sur
moi une impression plutôt rassurante. Quand nous avions appris qu’on
procéderait prochainement à l’extermination en masse des Juifs, ni moi ni
Eichmann [94] n’étions renseignés sur les méthodes à employer. Nous savions qu’on allait les
gazer, mais comment et avec quels gaz ? Maintenant, nous possédions les
gaz et nous en avions découvert le mode d’emploi. En pensant aux femmes et aux
enfants, j’envisageais toujours avec horreur les fusillades qui allaient se
produire. J’étais fatigué des exécutions d’otages et de la fusillade des divers
groupes de détenus, selon les ordres d’Himmler ou de tel autre dirigeant de l’administration
policière. Désormais, j’étais rassuré : nous n’assisterions plus à ces « bains
de sang » et jusqu’au dernier moment l’angoisse serait épargnée aux
victimes. Or, c’est cela qui m’inquiétait le plus lorsque je pensais aux
descriptions que m’avait faites Eichmann du massacre des Juifs par les « commandos
opérationnels » au moyen de mitrailleuses ou de carabines automatiques.
Des scènes épouvantables s’étaient déroulées à ces occasions : des blessés
s’enfuyaient ; on en achevait d’autres, surtout des femmes et des enfants ;
des soldats du commando, incapables de supporter ces horreurs, se suicidaient,
devenaient fous, tandis que la majorité avait recours à l’alcool pour effacer
le souvenir de leur effroyable besogne. Je me suis laissé dire par Höfle [95] que les hommes
des détachements qui effectuaient des opérations d’extermination sous les
ordres de Globonick, absorbaient, eux aussi, des quantités incroyables d’alcool.
C’est au printemps de 1942 qu’arrivèrent de Haute-Silésie
les premiers convois de Juifs destinés à être exterminés jusqu’au dernier.
On leur fit traverser les barbelés et on les conduisit à
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