Le commandant d'Auschwitz parle
époque
où tout le monde sentait déjà la fin proche, ma femme m’a souvent demandé de
quelle façon nous pourrions gagner la guerre. Disposions-nous vraiment d’une
arme secrète que nous tenions en réserve ? Le cœur lourd, je la consolais
en faisant appel à sa foi : je n’avais pas le droit de lui dire ce que je
savais, à elle pas plus qu’à toute autre personne. Je suis fermement convaincu
que Pohl et Maurer, beaucoup mieux renseignés, pensaient comme moi. Mais aucun
d’eux n’a jamais osé se confier à quelqu’un. Ce n’est pas par crainte d’être
accusés de défaitisme qu’ils se taisaient. Tout simplement ils ne voulaient pas
admettre la légitimité de leurs doutes. Il était impossible que notre monde fût
destiné à périr, il nous fallait donc vaincre.
Ainsi, chacun de nous continuait à travailler avec
acharnement comme si la victoire dépendait de nos efforts. En avril 1945,
lors de la rupture du front de l’Oder, nous nous appliquions encore avec la
plus grande énergie à maintenir au complet le contingent des détenus employés
dans celles des entreprises d’armement qui fonctionnaient encore. Aucun
relâchement ne devait être admis. Nous étudions même dans quelle mesure il
serait possible d’organiser la fabrication d’armement avec la main-d’œuvre
concentrée dans les conditions les plus primitives dans les camps de repli.
Chacun de nos subordonnés qui se rendait coupable d’une négligence en arguant l’inutilité
de tout effort était sévèrement réprimandé. Maurer s’apprêtait même à traduire
devant un tribunal de SS un membre de son état-major, au moment où Berlin était
déjà encerclé et où nous nous préparions au départ.
L’évacuation des camps de concentration
J’ai déjà eu l’occasion d’évoquer la folie que représentait
l’évacuation des camps de concentration.
Les spectacles auxquels j’ai assisté à la suite de l’ordre d’évacuation [111] m’ont tellement
impressionné que je ne les oublierai jamais.
Ne recevant plus aucun rapport du Sturmbannführer Baer,
chargé de l’évacuation d’Auschwitz [112] ,
Pohl m’avait fait partir en toute hâte pour la Silésie pour voir ce qui se
passait.
Je retrouvai Baer à Gross-Rosen [113] où il voulait
organiser les arrivées. Je lui demandai où se trouvait son camp mais il n’en
savait exactement rien. Le plan d’évacuation primitif avait été contrecarré par
l’avance des Russes en direction du sud. Je repris aussitôt la route pour
essayer de gagner Auschwitz et pour me convaincre sur place qu’on y avait
détruit, conformément aux ordres, tout ce qu’il y avait d’important. Mais je
fus obligé de m’arrêter sur les rives de l’Oder, à proximité de Ratibor :
l’avant-garde des chars russes patrouillait déjà de l’autre côté du fleuve.
À l’ouest de l’Oder, je m’étais heurté sur toutes les routes
et sur tous les sentiers à des colonnes de détenus qui avançaient péniblement
dans la neige épaisse. Il n’y avait pour eux aucun approvisionnement. Les Unterführer
qui dirigeaient ces convois de cadavres vivants ignoraient, dans la plupart des
cas, où il leur fallait diriger leurs pas. Tout ce qu’ils savaient, c’était que
Gross-Rosen devait être leur dernière étape, mais la façon dont ils y
parviendraient restait pour eux un mystère. Ils réquisitionnaient de leur
propre autorité des vivres dans les villages qu’ils traversaient, s’accordaient
quelques heures de repos et poursuivaient leur route. Il n’était pas question
de passer la nuit dans des granges ou dans des écoles, car tous les locaux
habitables étaient remplis de réfugiés. Il était aisé de suivre les traces de
ce « chemin de croix » car, tous les cent mètres, on se heurtait à un
détenu mort d’épuisement ou fusillé. À tous les convois que je pouvais
atteindre, j’indiquais la route en direction de l’ouest vers le pays des
Sudètes, pour leur faire éviter l’énorme goulot d’étranglement qui s’était
formé près de la Neisse. De la façon la plus sévère, j’interdisais aux chefs de
tous les convois d’abattre les détenus incapables de poursuivre leur marche :
ils avaient ordre de les remettre au Volkssturm (milice populaire dans les
villages). Dès la première nuit, j’ai pu voir sur la route, à proximité de
Leobschütz, tout un peloton de détenus fusillés ; leur sang coulait
encore, ils venaient donc seulement d’être
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