Le Conseil des Troubles

un petit bois, pensait s'être suffisamment éloigné du camp des coalisés.
    Après un dernier regard autour de lui, il écarta sa cape et dégagea un pigeon voyageur qu'une chaînette d'argent reliait depuis la patte à la ceinture du colonel.
    Le pigeon était bagué.
    Légèrement blessé par une balle autrichienne alors que venant des lignes royales françaises il gagnait le camp retranché de Bamberg, aujourd'hui soigné, on pouvait légitimement espérer que rendu à la liberté, et sa mémoire étant fidèle, il se dirigerait d'une traite à la ferme aux trois quarts effondrée.
    Le lieutenant-colonel agissait de son propre chef, du moins au départ, mais après la visite dramatique du Prussien voilé, et devant la consternation générale, il s'était loyalement ouvert de son projet à ses supérieurs.
    Un général espagnol, parlant visiblement au nom des deux autres et en présence du commandant suprême autrichien, se fit sans doute l'interprète de tous ces hommes - au silence qui valait approbation - en disant :
    — Colonel Novalmorales, nous n'avons rien compris à votre discours confus et ne saisissons pas le sens de vos paroles car vous êtes sans doute fiévreux. Pour vous remettre, à la chute du jour, vous vous en irez faire promenade du côté des bois. Afin qu'on ne vous importune point en votre état, et exceptionnellement, il ne se trouvera aucune sentinelle, aucun cavalier sur votre parcours.
    Le général autrichien au sourire triste, après un regard amusé aux trois généraux espagnols, ajouta :
    — Bonne promenade, colonel.
    Rendu au bois, Novalmorales ôta la chaînette d'argent et, retenant son souffle, il fut soulagé en voyant le pigeon prendre la direction du camp retranché.
    Il murmura :
    — Hasta la vista ! Buena suerte 1 !
    ***
    Augustin de Nestoc, dit le Feu Follet, attendait sans impatience. Il savait, par la corruption d'un sergent, que le duc de Bamberg allait ce soir tenter une sortie pour briser l'encerclement.
    Engagé sous un nom d'emprunt au régiment Royal-Auvergne, Nestoc avait un programme bien arrêté : approcher le duc s'il réussissait en son projet, l'abattre à bonne distance, déserter et profiter enfin de sa coquette fortune.
    Dans trois heures, tout serait réglé.
    Un vol de corbeaux aux sinistres coassements lui parut de bon présage.
    Un présage de mort...
    ***
    Elle lui accordait ce droit une fois par semaine.
    En effet, après sept jours de disette sur ce chapitre, le baron de Tuboeuf était autorisé par la marquise d'Ey à lui faire l'amour.
    Avant cela, elle l'avait chapitré, estimant que l'exécution du duc de Bamberg tardait à venir. Aveuglé par son désir, Tuboeuf jura d'insister auprès du Feu Follet mais c'était là promesse qu'il ne pouvait tenir, n'ayant aucun moyen de joindre le tueur. Pour y parvenir, il devait laisser un message au cabaretier du Drap d'Argent mais la seule réponse obtenue jusqu'ici se limitait à ceci : « Cessez de m'importuner. Vous apprendrez d'ici peu la mort du duc de Bamberg ! »
    Il la regarda avec convoitise et se déshabilla hâtivement tandis qu'elle attendait sur le lit, jambes demi-levées, considérant d'un air contrarié un de ses ongles brisé.
    — Que vous êtes belle ! lança-t-il.
    Sans quitter l'ongle cassé du regard, elle répondit d'un ton où perçait l'impatience :
    — Allons mon ami, ne perdez point de temps, j'ai bien d'autres choses à faire aujourd'hui !
    Le baron de Tuboeuf se précipita et se mit à l'ouvrage en poussant force grognements.
    L'affaire fut réglée en moins de temps qu'il n'est nécessaire à une poule pour pondre un oeuf.
    Le baron était enchanté. Il eût aimé demeurer la vie entière en la belle marquise dont les jambes reposaient encore sur ses épaules mais la dame n'avait point de ces tendresses :
    — Eh bien quoi, mon bon, vous dormez ?
    Il se retira et la regarda se lever, admirant ce corps parfait qu'il venait de posséder.
    — Je vous aime tant et tant ! dit-il avec passion.
    Elle soupira.
    II insista :
    — Vous êtes si bonne de m'offrir votre corps magnifique à moi qui suis si laid !
    Elle faillit répondre : « C'est assez bien vu » mais, songeant au mariage et aux millions, elle s'en abstint, notant toutefois :
    — Ah, mon ami, faites donc quelque chose : vous avez l'aisselle surette et les pieds fumants.
    Heureux, le baron prit bonne note qu'ils atteignaient, à présent, un certain degré d'intimité...
    *

    Bamberg, lui aussi, regardait la