Le Conseil des Troubles
Mortefontaine - pourtant son homme de confiance en la police secrète - qui se tenait devant lui, raide comme un piquet :
— Ne pouviez-vous empêcher cela? aboya le roi.
— Majesté, je n'avais dépêché sur place qu'un seul de mes hommes, par prudence, rien n'indiquant comme probable l'attaque du village.
Il mentait. En réalité, deux hommes se trouvaient habilement dissimulés à proximité du village et si l'un lui appartenait, l'autre relevait des services de Pontecorvo car le marquis italien et le baron français joignaient de plus en plus souvent leurs services, au moins en cette affaire où les circonstances faisaient d'eux des alliés.
Mortefontaine tenta une manoeuvre assez audacieuse :
— Votre Majesté peut considérer que malgré ses hautes protections, ce Von Ploetzen a des ennemis. Récemment encore, il s'en fit de mortels en exterminant ceux qui se disaient les derniers chevaliers du Temple et l'étaient en effet dans la mesure où ils détenaient leurs secrets et leurs archives. Ceux-là avaient des sympathies dans la noblesse.
— Poursuivez, baron ! répondit le roi, indécis.
— La chose n'a point été facile mais je sais à présent où se trouve la tanière de ce Von Ploetzen, en un hôtel particulier de la rue Garance : hauts murs et portes solides, garde nombreuse. Cependant, l'endroit n'est point imprenable. Il me serait facile de déguiser mes troupes de police en truands, de donner l'assaut et d'éliminer le Prussien.
Louis le Quatorzième s'approcha d'une des fenêtres de son cabinet et regarda les jardins : vent, pluie, neige, gel et bientôt, la famine. Il eut envie de fuir et de s'en aller aux armées, vers cet autre monde où la souffrance ne se farde point, apparaît pour ce qu'elle est et ne suscite nulle émeute. La guerre avait cet avantage pour elle : la clarté, une horreur tranquille.
D'une voix lasse, car il voyait déjà le défaut du plan de Mortefontaine, il demanda sans se retourner :
— Combien d'hommes vous faudrait-il ?
— Si nous voulons une certitude absolue de réussite, je dois mobiliser cent hommes des troupes de police.
Tournant toujours le dos en regardant la neige, le monarque questionna :
— Ne voyez-vous pas ce qui rend pareil projet impossible ?
— Si, Majesté, je crois savoir ce qui rend pareille entreprise délicate.
Tournant le dos au policier, le roi ne dissimula pas un bref sourire en notant que « projet » avait été remplacé par « entreprise » et « impossible » par « délicate ».
Il demanda :
— Eh bien?
— Trop de gens dans le secret, Sire.
Le roi hocha la tête, se retourna et vint s'asseoir en son confortable fauteuil. Il réfléchit un instant, puis :
— Baron, vous en savez long sur le Conseil des Troubles. En ma conviction intime, je n'y suis absolument pas favorable car, triomphant, entre autres choses, il rognerait mon pouvoir et bornerait mes ambitions. Mais il m'est difficile de le prendre de front puisque tous les monarques d'Europe, et plus loin encore, éprouvent une certaine faiblesse pour cette idée d'un monde dirigé par une dizaine d'hommes. À un niveau supérieur où vous n'avez jamais eu accès, je vous dirais ceci : le Conseil des Troubles vise à la souveraineté sur terre pour le bonheur de quelques rois et de puissants marchands, qui d'ailleurs finiraient par prendre la réalité du pouvoir. Pas trop de guerres mais bien choisies car, comme vous ne l'ignorez pas, les guerres sont des contre-feux aux révolutions. Plus de conflits de commerce mais partout des ententes, des prix fixés par complicité, des lois qui soient les mêmes sur toute la planète sans tenir compte des différences entre les peuples, un progrès freiné et contrôlé, encadré pour lâcher le minimum et empêcher une révolte générale des peuples. Il ne s'agit plus de projet pour un pays mais... Ah, il manque un mot à notre langue pour qualifier cela... Disons mondialité ou mondialisation, qu'importe. Qu'en pensez-vous ?
Mortefontaine réfléchit longuement avant de questionner en retour :
— Puis-je vraiment dire ma pensée, Sire?
— Cela est entre nous.
— Eh bien c'est là une façon de tirer le monde en arrière, me semble-t-il.
— Joliment dit! Mais cette infamie, comme bien des choses détestables, ne tardera point à se maquiller en grande avancée du progrès aussi ne puis-je sans masque en finir avec elle. Voyez-vous, bien qu'il existe depuis des siècles, le Conseil des Troubles a retrouvé
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