Le cri de l'oie blanche

pour venir te voir. Faut que je sois à Amos demain matin.
Après ça, faut que je prenne le train après souper. Pis j’imagine que j’vas
écrire toute la nuit. J’ai une causerie à préparer pour la radio.
    – Deux nuits blanches !
    – Trois. J’ai pas dormi non plus la nuit
dernière. Le bureau m’a demandé d’écrire un rapport sur tout ce qui se fait
ici. Étudier les possibilités d’installer des immigrants. Ça rentre à pleines
portes d’Europe, d’Allemagne, d’Italie.
    – On va avoir des Allemands à
Villebois ?
    – Non. Les Allemands s’en vont surtout
dans les provinces de l’Ouest. Pas ici. C’est justement ce que je suis en train
de dire dans mon rapport.
    Il se leva et la regarda en souriant. Elle
avait le cœur légèrement dans l’eau, furieuse contre elle-même de ne pas avoir
compris sa fatigue. Déçue d’apprendre qu’il repartait immédiatement. Elle
aimait tellement le calme qui l’entourait. Tout ce qu’il faisait était feutré,
sauf quand il parlait aux gens. Mais quand il était avec elle, il reprenait un
ton de confidence, parlant peu, réfléchissant beaucoup. Cela lui faisait le
plus grand bien, surtout quand elle avait couru d’un rang à l’autre, d’une
maison à l’autre, d’un chevet à l’autre.
    – J’vas quand même pas te mettre dehors.
Si tu pars à deux heures, j’aime autant que tu restes ici.
    Il sourit encore, découvrant sa fossette de la
joue gauche. Il n’en avait pas dans la joue droite. Il monta à l’étage et entra
dans la chambre qui lui était assignée. Elle lui souhaita bonne nuit et marcha
jusqu’à la sienne, se demandant s’il aurait été convenable qu’elle l’embrassât.
    Blanche fut éveillée par l’effrayante sonnerie
de son réveil. Elle se leva, presque somnambule, et vit qu’il dormait encore.
Elle descendit à la cuisine et prépara du café fort. Elle l’entendit bouger et
suivit ses pas en écoutant le craquement du plancher, au-dessus de sa tête. Ils
parlèrent peu, combattant tous les deux une puissante envie de retourner au
lit. Ils aperçurent les phares d’une automobile se dandinant au rythme des
cahots sur le chemin de terre gelé. Clovis se leva d’un bond en regardant sa montre.
    – Dix minutes d’avance.
    En une seconde, il fut parfaitement réveillé.
    – J’avais prévu de prendre ce temps-là
pour te dire que je fais un assez bon salaire pis qu’on parle d e me donner une promotion d’ici deux ans. Ça devrait doubler mes
paies. Si par hasard ça t’intéressait de revenir à Montréal pis d’entendre
parler un Franco qui roule ses r , fais-le-moi savoir dans tes lettres.
    Blanche échappa sa cuiller. Jamais elle
n’avait imaginé une demande en mariage aussi peu romantique. Elle ne répondit
rien, trop abasourdie, se contentant de le suivre dans le couloir. Il enfilait
un coupe-vent en continuant de parler.
    – Je sais que j’aurais pu te parler de
tout ça plus longuement. J’ai essayé, hier soir… C’est pour ça que je suis
venu… Mais en tout cas… Faut croire qu’un gars des plaines est pas aussi
confortable qu’on pense quand on le transplante dans la forêt.
    Il lui plaqua une bise maladroite sur la joue
et sortit sans ajouter un mot, se contentant de lui faire un signe de la main
avant d’entrer dans l’automobile.
    – Clovis ? Clovis, tu reviens
quand ?
    – Pas avant quatre semaines.
    – Ça nous amène à la fin d’octobre !
    – Si tout va bien. Je t’écris.
    Elle perdit de vue les deux phares et rentra.
Elle savait qu’elle ne pourrait dormir. Elle fit donc chauffer de l’eau et
entreprit de frotter les planchers, qui n’avaient absolument pas besoin d’être
lavés. Aussitôt cette tâche terminée, elle sortit son fer et sa planche à
repasser.
    Jeanne revint et lui raconta en détail la noce
d’Alice. Blanche aurait bien aimé y assister mais elle détestait laisser le
dispensaire pour plus d’une journée. Abandonner ses malades et rater une visite
de Clovis, c’eût été trop lui demander. Jeanne chantonna pendant une semaine
sous son regard inquisiteur.
    – Ça te dérange pas, Blanche, si je
descends à La Sarre dimanche ?
    – Non, pourquoi ?
    – Parce que je pense que j’vas descendre à La Sarre assez souvent. Au fait, Blanche, tu
devrais aller à des mariages une fois de temps en temps. Ça donne des idées pas
bêtes pantoute.
    Blanche rougit, se demandant si sa sœur avait
eu vent de la visite de Clovis