Le Crime De Paragon Walk
lui
mente ; elle avait peur de voir clair dans ses mensonges et d’être hantée
par la vérité ainsi entraperçue.
Aussi lorsque Charlotte parut, svelte et fraîche, les
cheveux brillants, insupportablement impavide dans sa simple robe en cotonnade,
Emily n’était pas d’humeur à lui réserver un accueil gracieux.
— Je suppose que Thomas n’a toujours rien trouvé ?
fit-elle, revêche.
Charlotte eut l’air étonnée. Emily avait conscience de ce qu’elle
faisait, mais elle ne pouvait pas s’arrêter.
— Il n’a pas retrouvé Fulbert, répondit Charlotte, si c’est
à ça que tu penses.
— Qu’il le retrouve ou non, je m’en moque, siffla Emily.
Qu’importe où il peut être, s’il est mort ?
Charlotte ne broncha pas, ce qui l’irrita encore davantage. Charlotte
qui se taisait, c’était la goutte qui fit déborder le vase.
— On ne sait pas s’il est mort. Ou alors, s’il l’est, qu’il
n’a pas attenté à ses jours.
— Et caché son corps ensuite ? dit Emily avec un
mépris cinglant.
— D’après Thomas, il y a des tas de noyés qu’on ne
retrouve jamais.
Charlotte persistait à s’exprimer sur un ton raisonnable.
— Ou bien ils sont méconnaissables.
Des visions révulsantes surgirent dans l’imagination d’Emily :
cadavres boursouflés au visage rongé, fixant le ciel à travers l’eau trouble. Elle
en eut la nausée.
— Tu es franchement dégoûtante !
Elle fusilla Charlotte du regard.
— Toi et Thomas pouvez peut-être en discuter autour d’une
tasse de thé, mais pas moi !
— Tu ne m’as pas offert le thé, répliqua Charlotte avec
l’ombre d’un sourire.
— Si tu crois que je vais le faire après ça, tu te
trompes !
— Tu devrais prendre quelque chose toi-même, avec une sucrerie…
— Encore une allusion polie à mon état, et je vais me
mettre à jurer ! déclara Emily, farouche. Je n’ai pas envie de m’asseoir, je
ne veux pas de boisson fraîche, rien !
Charlotte commençait à s’énerver quelque peu elle-même.
— Ce que tu veux et ce qu’il te faut, ce n’est pas
toujours pareil, repartit-elle du tac au tac. Et monter sur tes grands chevaux
ne t’avancera à rien. Tu risques de dire des choses dont tu te repentiras par
la suite. Je suis bien placée pour le savoir ! Si quelqu’un ici est
capable de réfléchir avant de parler, c’est bien toi. Je t’en supplie, ne perds
pas cette faculté au moment où tu en as le plus besoin.
Emily la contempla, une sensation de froid au creux de l’estomac.
— Que veux-tu dire ? Explique-toi !
Charlotte ne bougea pas d’un pouce.
— Je veux dire que si tes craintes te rendent
soupçonneuse ou si George sent que tu n’as pas confiance en lui, jamais tu ne
pourras remplacer ce que tu auras détruit, même si tu le regrettes profondément
ensuite ou que tout cela te semble dérisoire, une fois que tu connaîtras la
vérité. Et résigne-toi à ne jamais savoir peut-être qui a tué Fanny. Les crimes
ne sont pas tous résolus.
Emily s’assit brusquement. Il était consternant de penser qu’ils
n’auraient jamais la réponse, qu’ils passeraient le reste de leur vie à se
regarder et à se poser des questions. La moindre affection, la moindre soirée
paisible, la plus simple conversation, offre d’aide ou de compagnie seraient ternies
par l’incertitude, la pensée fugace… serait-ce celui-ci qui avait tué Fanny, ou
celle-là qui était au courant ?
— Il faut qu’on découvre la vérité ! insista-t-elle,
refusant de capituler. Si c’est l’un d’entre nous, on le saura forcément. Une
épouse, un frère, un ami finiront bien par tomber sur un indice !
— Pas nécessairement.
Charlotte la regarda en secouant légèrement la tête.
— S’il a réussi à cacher son jeu pendant aussi
longtemps, pourquoi pas jusqu’à la fin de ses jours ? Peut-être quelqu’un
le sait-il déjà. Mais il ou elle n’est pas forcé de l’admettre, pas même en son
for intérieur. Il y a des choses qu’on n’a pas envie de s’avouer.
— Un viol ? souffla Emily, incrédule. Mais
pourquoi, au nom du ciel, une femme protégerait-elle un homme qui a… ?
Le visage de Charlotte s’assombrit.
— Pour mille raisons. Qui aimerait croire que son mari
ou son frère est un violeur et un assassin ? On peut fermer les yeux définitivement
sur ce qui s’est passé, si on le veut vraiment. Ou se convaincre que cela ne se
reproduira plus, que ce
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