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Le Dernier mot d'un roi

Le Dernier mot d'un roi

Titel: Le Dernier mot d'un roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Moustiers
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vieillesse et pense à Jean Bourré qui est encore plus vieux que lui. Fermant les yeux, il imagine son visage doux et fripé, sa haute silhouette voûtée, la main sur la poitrine comme un moine, avec son bonnet noir enfoncé sur des mèches grises. Il s’inquiète de l’avoir choisi : « Pour protéger Charles, pour le surveiller, pour en faire un homme, il fallait un autre gaillard. Quant à M me  de Tournel, elle le couve comme une mère poule. Mon héritier n’est pas un poussin. »
    Il ne se demande pas pourquoi lui-même voit si rarement son fils, pourquoi il l’écarte de lui, le repousse, le confine dans ce château d’Amboise coupé du monde. Il se souvient du bonheur éprouvé à sa naissance, un bonheur si profond qu’il a interdit les feux de joie dans la campagne. C’était le 30 juin. Il n’a voulu que des prières et la lumière du jour. Non, il n’a pas honte de son fils. Seulement, il n’a pas l’habitude d’aimer quelqu’un. Alors, il a honte d’être sensible, comme si le cœur était l’ennemi de l’État.

5
    S’il arrive à Louis d’Orléans de plaisanter au sujet de son mariage, il n’autorise personne à le faire. Marguerite d’Aunis, favorite d’une nuit, aurait dû s’en douter. Après l’amour, trop familière peut-être, trop confiante en sa propre jeunesse, elle lui a demandé en riant s’il éprouvait la même gaieté, le même plaisir auprès de sa femme. Il a quitté le lit aussitôt, a gagné la fenêtre sans un mot. Le spectacle de la Loire en crue le distrait, l’attire, lui donne la sensation et le désir de prendre part à une guerre, à un désordre forcené. Fouettée par le vent d’ouest, la pluie tombe en rafales sur le fleuve qui inonde la campagne à perte de vue. Le duc enrage de ne pouvoir monter Faraude ou Pluton, d’être prisonnier des murs, au lieu de se démener au grand air. Vivre en chambre lui paraît indigne d’un cavalier. En même temps, il se félicite d’habiter sur une colline, alors que le château du Plessis, bâti au ras de la plaine, doit baigner dans l’eau. Il imagine Louis XI, trempé des pieds à la tête, s’échappant d’une fenêtre et sautant dans une barque. Cette image enfantine le met en joie. Il ne répond pas à Marguerite, qui du fond de l’alcôve l’appelle et se plaint d’avoir froid, toute seule sous le drap. Debout, à demi nu, il contemple à travers la vitre l’énorme masse liquide qui s’écoule avec lenteur et l’on dirait qu’elle entraîne les forêts, les chaumières, que la terre entière flotte, se déplace dans le courant, se résigne à disparaître. Il ne pardonne pas à Marguerite d’avoir parlé étourdiment de sa femme et de lui rappeler de mauvais souvenirs. Lors de son dernier séjour à Lignières, il a joué la comédie du mari affectueux et s’est montré prévenant envers Jeanne sous l’œil attentif des visiteurs de passage au service du roi. Dans l’intimité, il a dû redoubler de prudence et faire semblant de l’aimer, ce qui a demandé autant de ruse que d’efforts, sans compter l’exaspération causée par la pitié qu’elle lui inspire. Il voudrait surtout oublier son regard dont la douceur soutenue, partagée entre le désespoir et le courage, l’irrite jusqu’à la cruauté. Heureusement, rien de mélancolique ne dure chez lui. Comparables à ces animaux noyés et à ces branches mortes que la Loire chasse devant elle, les idées noires ne laissent aucune trace en son esprit. L’image du roi mouillé sautant dans une barque l’amuse à nouveau : « Sa Majesté a dû se réfugier auprès de son fils. »
    En effet. Louis XI n’avait pas le choix. Dressé sur un rocher, le château d’Amboise offrait le seul abri convenable. Au Plessis, après avoir envahi les caves, l’eau a menacé les appartements. Il a fallu commander huit bateaux plats, embarquer à la diable les hommes, les chevaux de selle, les lévriers, puis remonter la Loire à coups de gaffe. Sauveterre a veillé sur le roi. C’est un privilège que justifie sa taille exceptionnelle. Assis sur l’appui d’une fenêtre, le souverain l’attendait. Sauveterre l’a cueilli à deux mains comme on enlève un gamin et l’a posé sur un fauteuil arrimé à la proue du premier navire. Louis s’est levé tout de suite, a réussi à se maintenir debout, à marcher sur le pont en

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