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Le Dernier mot d'un roi

Le Dernier mot d'un roi

Titel: Le Dernier mot d'un roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Moustiers
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dépit du roulis et des secousses qui ébranlaient la coque. On l’a vu donner des ordres que la pluie battante empêchait d’entendre mais dont la vaillance et l’autorité n’échappaient à personne. En fait, c’est Sauveterre qui coordonnait les manœuvres et gouvernait, en capitaine, la flottille.
    Au dire d’Angelo Cato, ce domestique providentiel détient un pouvoir sur les choses : « Aux fureurs de la nature, à celles de l’eau, par exemple, il oppose une volonté transparente, une force fluide qui endort et maîtrise les éléments. » On peut concevoir une autre explication, moins sibylline en tout cas. Pour agir, Sauveterre ne se pose aucune question. Dévoué corps et âme à son maître, il choisit d’instinct le geste convenable. Le roi de France est sa raison d’être, sa foi.
    Apparemment, Louis XI n’en a cure. La vigilance et l’attachement héroïques de Sauveterre font, à ses yeux, partie des évidences et des meubles. Il ne les remarque pas et son inattention relative n’affecte pas le valet. Au contraire. Chacun ne s’en porte que mieux, comme s’il existait entre eux une connivence anonyme.
    En ce moment, tous les conseillers s’inquiètent d’un changement dans l’attitude du roi. Il se tient à l’écart, renonce aux repas en public et ne parle qu’à demi-mot, desserrant à peine les lèvres. Connu jusqu’à ce jour comme le moins casanier des hôtes, toujours prêt à changer de résidence, à voyager par monts et par vaux, à se moquer des habitudes sédentaires qui racornissent, selon lui, le corps et l’esprit, voilà qu’il refuse moralement le château d’Amboise, qu’il n’y trouve pas sa place. Ce n’est pas la forteresse en soi qui lui déplaît. Ces murs épais, ces meurtrières, ces courtines parcourues nuit et jour par des gardes armés, il les a voulus et commandés pour assurer la protection de son fils. Non, ce qu’il déplore, c’est la neutralité des pièces, leur géométrie de caserne, chacune aussi rectangulaire qu’une boîte vide. Le cabinet de travail qu’on lui propose, étendu comme une cour d’honneur, pourrait convenir à une statue. Impossible en cet espace solennel d’accoupler deux idées, de leur faire un enfant. Un homme d’État a besoin d’une cellule de moine, d’une prison intime pour tenir sa pensée et non pas d’une antichambre bardée de portes dont on redoute, à chaque instant, l’ouverture et le courant d’air.
    Cela dit, ces griefs entretenus par Louis à l’encontre du château d’Amboise ne sont de sa part que récriminations de rechange et mauvaises raisons. En réalité, ce qu’il feint d’ignorer ou refuse d’admettre, c’est la gêne qu’il éprouve à vivre sous le même toit que sa femme et que son fils.
    Pourtant, on ne saurait se montrer plus discrète, plus effacée, plus économe et feutrée en paroles que la reine Charlotte, assez diplomate pour passer inaperçue sans donner l’impression d’être absente. Quant au dauphin, impressionné par son père jusqu’à l’hébétude, il ne demande qu’à se tenir en retrait et se faire oublier.
    Alors, comment expliquer la gêne du roi ? Peut-être parce qu’un tel malaise, indigne d’un chef de famille et d’un maître de lignée, lui fait injure et l’intimide en secret. Tous les autocrates sont timides à leur corps défendant. Alors, pour s’écarter de cette tare, et parce qu’il n’a ni le temps ni le goût d’interroger sa propre personne, de l’écouter à confesse, il s’abîme à nouveau dans le travail, étudie l’avenir de la Bourgogne agrégée au royaume, l’équilibre militaire et financier du Pont-de-l’Arche et la révocation du monopole des galées de France, trois affaires d’État, étrangères l’une à l’autre, et qui n’ont en commun que leurs épines.
    Mais au château d’Amboise, le travail ne suffit pas à libérer l’esprit de Louis. Entre ces murs pesants, le souci que lui donne Charles s’envenime, devient un mal physique, colle à sa peau, dénature l’air qu’il respire. Après son arrivée en bateau, hier soir, il n’a pas accepté de le voir. Accueilli avec déférence et fièvre par Jean Bourré qui lui demandait la permission et l’honneur d’aller chercher l’enfant, il a répondu : « Rien ne presse. » Apparemment distrait par les valets qui le déchaussaient et par les

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