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Le Dernier mot d'un roi

Le Dernier mot d'un roi

Titel: Le Dernier mot d'un roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Moustiers
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chambrières qui lui présentaient des serviettes chaudes et des vêtements secs, il s’est enquis de la santé de Bourré. Déconcerté par cette question qui pouvait ressembler à un piège, le gouverneur a rougi, avant de répliquer : « Je me porte bien, grâce à Dieu, depuis que Monsieur le Dauphin se porte à merveille. On peut dire, Sire, que ma santé dépend de la sienne. » Louis l’a approuvé d’un grave mouvement de tête, puis a pris le temps de le regarder, d’examiner son visage et son corps. Il s’est d’abord réjoui, comme tout vieillard, de rencontrer une sénilité plus accusée que la sienne. Bourré tenait à la main son bonnet noir. Ses cheveux gris, éparpillés sur les tempes et coiffant les oreilles en partie, s’écartaient du front et découvraient, plus haut, un espace luisant. Louis XI retrouvait là sa propre calvitie, la tonsure de l’âge, et cette identité l’intriguait, l’affligeait : « Si les caractères diffèrent, tous les corps finissent par se ressembler. Quelle infortune et quelle absurdité de vieillir au moment où la vie nous a tout appris, où nous savons choisir nos flèches, diriger nos traits, confondre nos ennemis, où nos bras décharnés rêvent toujours de victoire. » Cette pensée n’a duré qu’un éclair. Il a esquissé un sourire, a conseillé à Bourré de remettre son bonnet, puis, sur un ton sérieux, lui a demandé son âge.
    — J’aurai soixante-huit ans dans un mois, a prononcé d’une voix ferme le vieux gentilhomme.
    Louis a fermé les paupières pour souligner l’importance du chiffre, puis, les rouvrant, a dit :
    — Je compte toujours sur toi, Jean.
    — Le compliment m’honore, Sire.
    — Auprès de Charles, c’est un gardien que je veux, pas un ange. Un veilleur, pas un surveillant. Un responsable à l’affût des imprudences physiques et des fautes mentales. Tu dois étudier les exercices que tu lui proposes. Faire un choix : éviter les efforts qui développent le torse au détriment des jambes, prohiber le maniement des poids. A-t-il grandi depuis l’an passé ?
    — Oui, Sire. De quatre pouces.
    — Ce n’est pas assez. Un enfant accomplit sa croissance et devient un homme quand il choisit sa monture et qu’elle-même l’adopte. Qui lui apprend à se tenir en selle ?
    — Thibaut de Tallard, Sire. À l’occasion, votre serviteur.
    — Comme maître d’armes, je souhaite un artiste plutôt qu’un guerrier, un tireur qui frappe d’estoc et non de taille, un homme qui vise d’instinct avant de toucher.
    — Gérard de Vaugine, Sire. C’est vous qui l’avez choisi.
    — Maintenant, dis-moi : Charles s’essouffle-t-il en courant ? Je veux savoir s’il lui arrive encore de tousser.
    — Sur ma foi, jamais.
    — Ne mens pas !
    — Par le sang du Christ, je l’affirme, Sire. Angelo Cato aussi.
    — Si vous dites vrai, je le ferai évêque et toi, grand argentier. Merci, Jean. À présent, je veux voir mon fils. Fais-le venir. Mais, encore une fois, rien ne presse.
    Jean Bourré s’est retiré à reculons. Pour rejoindre Charles, il lui fallait traverser deux chambres, emprunter un corridor, descendre un escalier. Profitant du : « Rien ne presse », il a marché lentement, hésité, réfléchi à chaque pas comme s’il avait une décision à prendre. Lui qui, d’ordinaire, ne s’inquiète jamais de son âge, se sentait las, maintenant, alourdi dans sa chair par un chiffre : soixante-huit. Alors, il a fait ses comptes : cinq ans déjà qu’il a charge du dauphin, qu’il veille sur lui jour et nuit, que Louis XI le harcèle dans ses lettres de recommandations impératives, lui interdit sans permission spéciale de montrer son fils à quiconque. Charles, héritier du trône, doit être protégé des visiteurs, bien sûr, mais encore des voisins. Ainsi, les habitants de Saint-Florentin, faubourg d’Amboise, ne sont pas autorisés à entendre la messe dans la chapelle du château et doivent se contenter de leur église paroissiale. La ville est fermée aux étrangers. Louis, conscient des ruses et des passions maléfiques du pouvoir, se méfie des grands seigneurs et des spadassins à leur solde. La nuit, sur les courtines, les gardes se promènent à la lueur des fagots. Oui, cinq ans déjà que Jean Bourré n’a pas quitté le dauphin, qu’il a

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