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Le Dernier mot d'un roi

Le Dernier mot d'un roi

Titel: Le Dernier mot d'un roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Moustiers
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délaissé sa terre d’Anjou, son château, sa femme et ses enfants sans obtenir du roi le moindre congé.
    Alors, il a marché plus lentement encore, a descendu l’escalier marche à marche pour évoquer ses activités de jadis, quand, d’une province à l’autre, il collectait des fonds secrets, rencontrait des aventuriers de prestige comme Warwick ou préparait des mariages princiers. Mais sa nostalgie n’a pas duré car il a pensé que la liberté dont il était privé appartenait au roi et qu’il n’avait aucune raison d’être chagrin ou révolté. À travers la tyrannie du souverain, il a même ressenti la fierté d’être tenu pour un serviteur unique, choisi entre mille pour garder l’héritier de France.
    Retenu en salle par le mauvais temps, Charles jouait aux quilles en compagnie d’un page plus jeune que lui et qui le dépassait d’une tête. Chaque fois que la boule, frappée à coups de crosse, abattait deux quilles, il poussait un cri suraigu que M me  de Tournel, chargée de le surveiller, écoutait avec un sourire plissé. À l’entrée de Bourré, ravie de céder la place au gouverneur, elle s’est éclipsée, de concert avec le page.
    — Monseigneur, le roi vous attend, a dit Bourré.
    Charles a laissé tomber sa crosse sur le parquet, a failli se baisser pour la ramasser, mais a préféré redresser la taille et répondre :
    — Maintenant ?
    — Oui.
    — Pourquoi ?
    — Le roi n’a pas de raisons à donner. Vous le savez.
    Oui, Charles le sait et s’en inquiète. On ne peut jamais prévoir ce que Louis XI va dire. C’est une énigme pour toute personne convoquée. Charles, qui ne le rencontre que rarement – jamais plus d’une fois par an –, le connaît d’instinct, averti par l’hérédité. Adolescent disgracié par la nature, retardé dans son corps et son intelligence, il bénéficie, là, d’une expérience prématurée, celle d’un enfant vieilli par la solitude forcée et par la suspicion maniaque qui l’entourent.
    — Dois-je changer de tenue ? a-t-il demandé.
    — Non. Boutonnez seulement votre pourpoint.
    Ils ont quitté la salle, côte à côte. En marchant, le vieillard a recommandé à l’enfant de ne pas tousser devant le roi.
    — C’est facile, a-t-il ajouté. Il suffit de serrer les dents et de penser à autre chose.
    — Et si l’on me pose une question ?
    — Eh bien, avant de répondre, vous étouffez la toux avec un mouchoir.
    À leur arrivée, Louis XI ne s’est pas levé. Un seul regard lui a suffi pour saluer son fils et congédier Bourré. Bien enfoncé dans son fauteuil, les jambes enveloppées d’une couverture et la main droite cachée sous la table, il a pris le temps de fermer les yeux, puis de les rouvrir en avalant un filet d’air.
    — Vous m’avez demandé, mon père, a murmuré Charles, la gorge serrée, conscient de parler pour ne rien dire et de commettre, par là, une sottise.
    Après avoir réprimé une grimace, Louis a souri avant de répondre avec douceur :
    — Oui, j’avais besoin de vous voir.
    Il a détaché de la phrase les deux derniers mots pour signifier que c’était bien son intention, son projet : le voir, l’examiner. Et c’est ce qu’il a fait durant plusieurs secondes interminables. Sous son regard affable, l’enfant s’est replié, la tête enfoncée dans les épaules, les yeux battus, la lèvre épaisse, et cette attitude a consterné le roi : « Qu’il soit laid, peu m’importe. Tous les Valois ont les jambes grêles et le nez long, mais ils savent se tenir et n’ont pas cette lippe qui rend bête. Lui n’a rien d’impérieux, rien de fier. Je ne lui pardonne pas d’être ordinaire. » Il a souri encore, puis a rompu le silence d’une voix enrouée :
    — Dans un mois, mon fils, vous aurez douze ans.
    — Oui, mon père.
    — Vous devez maintenant grandir, devenir fort.
    Charles a redressé la tête sans trop lever les yeux. Troublé à l’idée de chercher ses mots et de trouver une réponse, il a buté sur la première syllabe :
    — C’est mon désir.
    — Non, vous le devez. Il ne s’agit pas seulement de devenir un homme. Tous les hommes ont des désirs. C’est une chose commune. Le fils du roi a des devoirs. N’oubliez jamais qui vous êtes.

6
    L’avantage de vieillir quand on a encore sa raison, c’est de dormir le moins possible et

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