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Le Dernier mot d'un roi

Le Dernier mot d'un roi

Titel: Le Dernier mot d'un roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Moustiers
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hauteur le condamnent à tomber des nues, à s’écraser par terre. Avant terme, tout le monde apprendra que la régence sera dévolue à ma fille Anne. Pour Charles le trône sera protégé, nettoyé de toute menace, de tout soupçon. C’est toi qui finiras, petit duc, à l’ombre de ma lignée. »
    Il sourit dans le noir, lèvres pincées. Un souvenir lui revient, vieux de dix-neuf ans. À Blois, dans l’église de Saint-Sauveur, on baptise le petit duc, trois jours après sa naissance et selon la coutume. L’enfant a pour parrains Louis XI et Charles d’Anjou, comte du Maine, pour marraines Marguerite d’Anjou, reine d’Angleterre, et la comtesse de Vendôme. Louis, roi de France depuis un an, s’attache à faire une figure digne de son rang. Il tient son filleul dans les bras, adopte un air de circonstance qui en impose, à la fois sérieux, altier et réjoui, bien qu’il n’aime guère les enfants, notamment les nouveau-nés quand ils ne sont pas les siens. Celui-ci ne grimace, ni ne pleure, ni ne remue, mais Louis s’embarrasse de le porter à deux mains. Alors, pour occuper ses doigts, il en libère une et caresse le pied nu de l’enfant qui, à ce contact, laisse échapper un filet d’urine dans la manche royale. Louis furieux frémit, serre les dents et feint de n’avoir rien remarqué, mais en ce moment même le souvenir de l’humidité intempestive l’affecte encore, l’irrite au lieu de l’amuser et le conduit sans humour à un verdict : « Il s’agissait d’un mauvais signe, c’est évident. Avec la maison d’Orléans, je ne m’entendrai jamais. »
    Il s’inquiète, soudain, de ne pas dormir et craint de manquer de présence, demain, devant ses conseillers : « Si je me tais, les yeux mi-clos, ils vont s’imaginer que je retombe en absence. » Il se promet de ne bâiller qu’à dessein, afin de montrer qu’il écoute en faisant le tri. Puis, sans transition ni souci de contradiction, il se félicite d’être insomniaque sous prétexte que le noir affûte les sens, aiguise l’esprit et qu’un projet ne se prépare bien que la nuit. Il bénit le ciel de rester éveillé, plus lucide encore, plus logique et plus ferme entre deux idées qu’au temps de sa jeunesse : « Quel trésor, la conscience claire ! » Il évoque tous ces hommes forts qui ronflent et dont l’existence se réduit à un bruit de machine : « On jurerait qu’il n’y a plus que du vent dans leurs têtes et qu’ils apprennent à mourir. » Deux mois plus tôt, auprès d’Angelo Cato, il a voulu se renseigner, savoir si lui-même avait ronflé durant sa léthargie aux Forges. L’aumônier-médecin a répondu :
    — Non, Sire. Pas vraiment.
    — Pas vraiment ? Parle net !
    — Le bruit ne venait pas du nez, ni de la gorge, ni de la poitrine.
    — Alors, d’où venait-il ?
    — Des lèvres, me semble-t-il.
    Louis mord sa lèvre inférieure et pense à la lippe de Charles, copiée sur celle de Jeanne, sa sœur : « Je n’ai pas ce défaut-là, moi. Anne non plus. » Il n’apprécie guère la façon dont Anne durcit la bouche et le regard quand on fait allusion devant elle à Louis d’Orléans : « On dirait qu’elle se défend. Il est vrai que des chambrières en veine de ragots supposent une aventure entre eux. Il s’agit, bien sûr, d’une fumée sans feu, mais la bagatelle nous réserve toujours des surprises et je préfère ne jurer de rien. Aussi ne suis-je pas fâché de l’avoir mariée à Pierre. Chair refroidie donne sagesse et liberté de tête. »
    Hier soir, après le départ de Charles, elle a parlé de Pierre :
    — Vous le connaissez, mon père. Comme saint Thomas, il ne se fie qu’aux réalités. Rêves, chimères, mirages et miracles lui sont étrangers. Pourtant, il vous croit immortel. Oui, mon père, immortel. À deux reprises, il a prononcé le mot. Il a même ajouté une insolence que je vous prie de lui pardonner : « Seul le prince des magiciens, l’empereur des fourbes pourrait tromper la mort comme il le fait. »
    — Ton mari est un fin politique, ma fille. Il sait à point nommé ce qu’il convient de dire au roi.
    Cette réponse a pris Anne au dépourvu sans la démonter vraiment. Elle a tout de même rougi en soutenant le regard de son père qui se souvient, maintenant, d’une réflexion de Cato : « L’intelligence

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