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Le Dernier mot d'un roi

Le Dernier mot d'un roi

Titel: Le Dernier mot d'un roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Moustiers
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écouté le discours du roi dont l’ardeur l’avait subjugué, avait réveillé leurs affinités, rappelé ces commentaires chaleureux qu’ils échangeaient naguère sur la politique de l’Europe, l’ouverture des portes du Levant ou de l’Italie, les pourparlers souhaités avec le sultan ou le grand vizir, engagés avec Galeazzo Maria Sforza ou Laurent de Médicis : « Une nation ne grandit que si son esprit dépasse les frontières. » Surpris à nouveau par le vieillard, sans en prendre l’habitude pour autant, Commynes ne se demande pas si l’admiration qu’il éprouve ressemble à l’amour d’une femme ou à l’adoration d’un chien. Son sentiment ne pose aucune question : « Enfin, je suis tranquille à ses côtés. Le doute ne me connaît plus. »
    Ainsi, ce que Louis XI a pu faire en un jour, le 19 décembre, lui paraît défier les lois de la nature, dépasser les forces morales et physiques d’un homme à la fois exceptionnel et bien portant. Du matin au soir, Louis n’a cessé de donner des instructions verbales et de dépêcher des ordres écrits, munis du sceau royal. Il a nommé Palamède de Forbin gouverneur de Provence, Raymond de Glandèves grand sénéchal du comté et Guillaume Buissonnet général des finances, puis il a invité d’autorité le président de la Chambre des comptes, Antoine de Beauvau, à rechercher dans ses archives les droits de la Couronne sur cette province. Enfin, à la tombée de la nuit, il a dicté à son secrétaire une lettre adressée à Pierre Cadouet, prieur de Salles : « Maître Pierre, mon ami, priez Notre-Dame de Salles afin que son plaisir soit de m’envoyer la fièvre quarte. Les médecins disent que ma maladie a besoin d’elle pour guérir. » Commynes a parlé de cette prière à Angelo Cato qui, en sa qualité de médecin, a répondu : « Il s’agit d’un remède dont je me méfie. Une maladie peut avoir besoin d’une autre mais, le plus souvent, la conjugaison aggrave le cas. » En qualité d’aumônier, il a ensuite ajouté : « Ce que je trouve merveilleux, c’est que, dans le flot des affaires d’État, le souverain sort la tête de l’eau et ne s’oublie pas. Il veille sur sa santé à seule fin d’achever son métier de roi en prolongeant sa vie. Chez lui, la volonté commande au destin. On peut normalement penser que ses jours sont comptés. On peut également supposer en toute bonne foi qu’il ne mourra jamais. » Commynes a toujours plaisir à rencontrer Cato. Il existe entre eux une filiation de pensée parfaitement gratuite, étrangère à toute condition hiérarchique, différente en cela des liens intellectuels qui unissent Philippe et Louis, une sorte de fraternité d’adoption : «  Un accordo di sangue . »  Pour avoir servi le Téméraire, jadis, chacun de son côté, et rallié ensuite le roi, l’un après l’autre, ils ont certainement des souvenirs à comparer et sans doute attendent-ils l’occasion de le faire.
    À revoir Louis Tyndo et Jean de Beaumont, Commynes ne manifeste qu’une satisfaction polie. C’est par leur entremise et celle de Richard Estivalle que Louis XI, trois ans plus tôt, a pu annexer à la Couronne la vicomté de Thouars, lésant ainsi les héritiers de La Trémoille d’une succession légitime. Conscient d’avoir participé à l’affaire et d’avoir brûlé des documents compromettants, Philippe n’éprouve aucun remords : « Quand on a le privilège d’avoir pour complice le roi de France, il n’y a plus d’action malhonnête. » Ainsi pense Commynes au mépris de la morale et sans ombre de cynisme, sous la foi d’un pragmatisme incorruptible. Hélène ne se gêne pas pour l’approuver : « Dans ton état, tu n’as aucune raison d’être un ange. »
     
    Quand on occupe une chambre aménagée dans un comble brisé, sous un toit en pente, il convient de demeurer couché le plus longtemps possible, ensuite, une fois levé, d’économiser ses mouvements et de les raccourcir si l’on ne veut pas heurter les murs. Commynes use de telles précautions. À l’aube, le dos courbé, les bras le long de la chemise, il constate à travers la barbacane qu’il a neigé pendant la nuit. Après une semaine de pluie, la luminosité inattendue du ciel l’attire et lui donne envie de marcher. Il s’habille en un tournemain, quitte l’hôtel, ne rencontre personne

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