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Le Dernier mot d'un roi

Le Dernier mot d'un roi

Titel: Le Dernier mot d'un roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Moustiers
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dans la rue et gagne le chemin qui borde le Thouet. L’air glacé durcit son regard, resserre ses sourcils, lui prête des sentiments énergiques et des idées vagues. Il se félicite d’être seul devant la plaine blanche, souhaite ne penser à rien, écoute craquer ses bottes dans la neige et se contente de regarder couler la rivière dont l’eau gèle en écailles contre la rive. Mais voilà qu’il entend d’autres pas que les siens. Il se retourne avec humeur et reconnaît avec plaisir Angelo Cato.
    — Voyez, je me promène, dit-il.
    — Moi aussi, répond l’aumônier.
    Ce dialogue paraît leur suffire. Ils marchent, à présent, côte à côte sans dire un mot. C’est toujours comme ça entre deux hommes intelligents quand chacun a beaucoup de questions à poser. Pour l’instant, le craquement de leurs pas vaut une conversation. Ils sont heureux sans savoir pourquoi, peut-être à cause du froid, à cause du silence et d’une pureté qui n’appartient qu’au matin.
    Un cri strident, modulé dans l’aigu, leur fait relever la tête. Il s’agit d’un rapace à la queue fourchue qui traverse d’un seul coup d’aile le ciel décoloré.
    — Un busard, dit Cato.
    — Non, un milan, rectifie Commynes.
    — J’oubliais que vous êtes chasseur.
    — Je le suis moins que notre roi.
    Voilà le mot qui va les décider à parler.
    Angelo, le premier, s’arrête sous un frêne et s’adosse au tronc, au moment où, partie des branches, une pelote de neige tombe devant lui, frôle son nez.
    — Quand l’avez-vous rencontré pour la première fois ? demande-t-il.
    — À Péronne, il y a treize ans. J’étais encore un jeune homme.
    — Je m’en doute. Comment avez-vous réussi à le voir ? On le traitait en prisonnier. Personne ne pouvait l’approcher.
    — Personne d’important. À cette époque, je ne comptais guère. On ne prêtait pas attention à moi. Je l’ai rencontré facilement, sans trop le vouloir, d’ailleurs. Une faille dans la surveillance, un hasard. Au fond, je n’avais pas envie de lui parler… Il fait froid. Ne restons pas là.
    Ils reprennent leur marche, côte à côte. Angelo voudrait bien savoir pourquoi Philippe n’avait pas envie de parler au roi, mais il se défend de poser la question. Il attend. Philippe prend son temps et précise :
    — La félonie de Louis XI me heurtait moins que son étourderie que je jugeais stupide, indigne d’un roi. Je pensais qu’il n’avait pas le droit d’oublier le travail de sape de ses agents en pays ennemi. À vingt ans, on ne pardonne rien aux chefs, surtout quand ils ont l’âge d’être votre père. J’avais tout simplement du mépris.
    Angelo s’arrête à nouveau de marcher, mais se défend d’interroger Philippe du regard et de lui réclamer tacitement des explications plus subtiles. En sa qualité de prêtre, il a conscience qu’il lui faut se taire pour que les propos du confessé sonnent juste. Commynes, lui, a besoin de réfléchir, de mesurer l’énormité de ce mot qu’il vient de prononcer : « mépris ». Il ignore ce qu’il va dire encore et, soudain, débite d’un trait :
    — Et puis, je l’ai vu et tout a changé. Comprenez-moi, je venais de quitter le duc en fureur, incapable de tenir en place et de maîtriser ses nerfs, et je me tenais devant un homme qui avait peur, ne s’en cachait pas et demeurait tranquille à sa manière, un souverain qui avouait ses fautes et reconnaissait s’être conduit comme un enfant. Mais ce n’est pas cela qui compte…
    Il fait deux pas en avant, virevolte et se retrouve face à l’aumônier, assez près pour que leurs haleines blanchies par le froid se mélangent.
    — Ce qui compte, reprend-il avec impatience, c’est qu’il cherchait à me plaire et y réussissait. Peut-être me prenait-il pour un personnage, un émissaire du duc, choisi parmi les dignitaires. Non, il savait très bien à qui il avait affaire. Il connaissait mon âge et mon nom. Je me demande pourquoi il s’intéressait à moi. Vous comprenez ça, vous ?
    — Oui. Louis ne se trompe jamais sur les hommes qui peuvent l’aider.
    — Mais je ne pouvais rien pour lui. Je n’avais aucune influence, aucun pouvoir.
    — Pourtant, vous l’avez aidé.
    — Non. Je l’ai seulement prévenu du danger qu’il courait. Je lui ai conseillé de ne pas refuser ce qu’exigeait le

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