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Le Dernier mot d'un roi

Le Dernier mot d'un roi

Titel: Le Dernier mot d'un roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Moustiers
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fauteuil.

12
    Grandi à l’ombre des lutrins dans la fraîcheur odorante des églises, Angelo Cato n’a cessé d’étendre le territoire soumis à son autorité spirituelle. Attiré par le commerce des hommes, il a donc pratiqué celui des âmes et rêvé d’obtenir un grand ministère afin d’assouvir son désir d’influencer les puissants de ce monde. Alors, quand le chapitre cathédral de Vienne, sur le conseil impératif de Louis XI, l’a proposé comme archevêque, il a éprouvé l’émotion et la certitude d’avoir accompli sa vocation. Il lui faudra attendre quelques mois encore avant d’obtenir sa nomination officielle et le privilège d’exercer son prestigieux sacerdoce. D’ici là, patienter lui procure un bien-être inédit. Il profite en pensée de sa nouvelle dignité et jouit d’un temps de vacance qui lui permet de vivre honoré, de réfléchir avec douceur et de parfaire ses devoirs. Ainsi, la semaine dernière, venant de Florence et dès son arrivée au Plessis, avant même d’essuyer la poussière de son visage, il a rendu grâce au roi de France, lui a signifié à deux genoux sa gratitude et son dévouement : « Sire, il va de soi que je mets mon diocèse à votre service, ainsi que mes correspondants italiens et les filières que j’entretiens à Rome dans l’entourage de Notre Saint-Père. » Louis, assis sur son lit, n’a rien répondu, mais l’a remercié du regard avant de dicter une lettre à Pierre Parent. La fermeté de sa voix a surpris agréablement Angelo que des bruits funestes avaient accablé, trois jours plus tôt, au passage de la frontière. Un officier de la maison de Savoie et deux muletiers revenant de Touraine lui avaient annoncé l’agonie du souverain. Il se réjouit, à présent, de penser que le roi trompe la mort une fois de plus et qu’aucune force néfaste ne peut le détruire : « On dirait que sa santé fait partie de ma fortune. Grâce à lui, j’arrive à destination. Ce devait être écrit. » Si la satisfaction absolue d’une ambition ou d’un souhait débouche parfois sur l’ennui, ce n’est pas le cas d’Angelo. Jamais il n’a ressenti une telle curiosité de vivre. Il lui arrive d’amuser sa conscience en imaginant sa robe d’archevêque et sa chaire rehaussée de drap bleu, agrémentée de motifs graphiques et de maximes édifiantes. Il en sourit avec appétit et cette gourmandise de l’esprit qui se moque de la vanité. Apparemment, sa promotion – son « ascension », diraient les persifleurs – ne l’a pas changé. C’est le monde, semble-t-il, qui se modifie, se transforme en sa présence. On l’appelle déjà « Monseigneur » et les gens s’arrêtent devant lui, inclinent la tête, se conduisent avec discrétion, évitent toute familiarité. Ainsi, le roi ne lui parle plus de la même manière. Avant-hier, il a oublié de le tutoyer : « Monseigneur – a-t-il dit sans ironie –, je vous demande d’aller trouver ma fille Jeanne. J’ai appris que son mari avait la petite vérole. Cette innocente commet l’imprudence et la sottise de le soigner. Veillez à cela. Vous êtes toujours médecin, n’est-ce pas ? Je ne veux pas qu’elle tombe malade à cause de lui » et, comme Angelo l’approuvait en silence, Louis a ajouté sans commentaires : « Sauveterre vous accompagnera. »
    Ils sont partis, avant l’aube et sans escorte, leurs montures au pas, sous la clarté fragile de la lune. Contrairement à ses habitudes, Sauveterre a parlé le premier :
    — J’aime bien la nuit.
    — Moi aussi.
    — On apprend à voir ce qu’on ne remarque pas le jour.
    — C’est possible. Le roi ne m’a pas dit pourquoi je devais faire route avec toi.
    — Le roi n’a pas de raison à donner.
    — Bien sûr.
    — Tu es là pour me protéger, n’est-ce pas ?
    — Oui, Monseigneur.
    — Pourquoi m’appelles-tu Monseigneur ? Je ne suis pas encore archevêque.
    — Pour moi, vous l’êtes… depuis longtemps.
    Angelo sursaute sur sa selle. Il aimerait rire et plaisanter, mais il est trop surpris pour cela.
    — Depuis longtemps ? répète-t-il sans retenir sa voix. Explique-toi.
    — Il n’y a rien à expliquer, Monseigneur. Vous êtes né comme cela.
    Cette fois, Angelo a besoin de se taire, de mettre en ordre ses idées et ses sentiments. Il écoute avec attention les pas synchrones des deux

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